Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 80.djvu/927

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pouvaient manquer de l’être tous les ennemis de Napoléon, la question serait reprise ; mais elle ne le serait plus dans les mêmes termes. Le jour où il reviendrait à Paris après avoir pris Saint-Pétersbourg ou Moscou, qui donc l’empêcherait d’élever ses nouvelles exigences au niveau de ses récens succès ? Il ne s’agirait plus alors de donner le choix à Pie VII entre le séjour de Rome ou celui d’Avignon ; le souverain pontife logerait dans sa capitale même, sous sa main et à sa discrétion. C’est ainsi qu’agissait le tsar de Russie avec son clergé orthodoxe, qui, reconnaissant et soumis, prêchait d’exemple à tous les sujets de l’empire la soumission la plus complète aux volontés du maître. Pour lui, quel profit ne saurait-il pas tirer de l’action du saint-père, d’un côté pour imposer partout chez lui l’obéissance comme le plus saint des devoirs, de l’autre pour mettre à la raison les Espagnols révoltés contre son frère Joseph, pour aider son beau-frère Murat à chasser de Sicile les Anglais hérétiques, pour étendre enfin sur les populations catholiques de l’Orient, du globe entier, l’influence prépondérante de la France ! Ces rêves grandioses, que l’abbé de Pradt encouragea sans doute de toutes ses forces, quoiqu’il les ait dénoncés plus tard comme autant de folies, agitaient fiévreusement l’imagination véritablement orientale de Napoléon quand, après avoir accueilli assez froidement le délié prélat qu’il venait d’envoyer à Savone pour traiter avec le pape, il se mit tout à coup à lui proposer, safts awtve transition, d’aller employer ses multiples facultés à révolutionner derrière lui la Pologne[1]. Ce qui, mieux encore que les indiscrétions toujours un peu suspectes de l’archevêque à Malines, révèle les vrais desseins de l’empereur, ce sont ses propres actes, ce sont les dépêches qu’il dicta lui-même à cette époque, et que nous allons faire passer sous les yeux de nos lecteurs.

Napoléon, pendant sa longue absence, n’avait rien tant recommandé à son ministre des cultes que de garder un silence absolu sur les affaires de l’église, de retirer des mains des membres du concile et à plus forte raison de la circulation publique toutes les pièces et les documens quelconques ayant trait aux matières religieuses. Arrivé à Paris le 12 novembre, il fit venir, le 3 décembre 1811, M. Bigot de Préameneu à Saint-Cloud. La veille, c’était de la guerre, maintenant si prochaine, qu’il s’était occupé. Il avait écrit au prince d’Eckmühl pour se plaindre en termes pleins d’amertume des habitans du grand-duché de Varsovie, qui affirmaient ne pas pouvoir nourrir les troupes françaises, et mettaient néanmoins en avant la prétention étrange de redevenir une nation. Il avait eu

  1. Relation de mon ambassade dans le grand-duché de Varsovie, par l’abbé de Pradt.