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et qu’on ne s’entretînt en aucune manière des affaires présentes. J’ai pris à cet égard des précautions qui atteindront le but et qui seront dirigées avec toute la prudence dont je suis capable[1]. »


II

Tandis que le prudent préfet de Montenotte, les cardinaux et les évêques s’employaient de leur mieux à Savone pour éviter que la rupture ne devint imminente et publique entre le pape et l’empereur, Napoléon, satisfait de la tournée qu’il venait de faire dans les provinces du nord de son empire, et de plus en plus confiant dans le succès de son expédition contre la Russie, rentrait dans sa capitale, décidé au contraire à pousser les choses à toute extrémité. Au moment où il méditait d’aller se remettre à la tête de ses armées pour les conduire plus loin qu’il ne les avait encore menées, il ne lui convenait nullement de laisser derrière lui une aussi grosse question. Il lui fallait ou la régler avant son départ, ou l’ajourner pendant son absence. Il sentait parfaitement à travers le silence des uns et la réserve de tous que ses plus dévoués partisans, soit de l’ordre civil, soit de l’ordre religieux, étaient loin d’approuver l’attitude qu’il avait prise depuis plusieurs années à l’égard du chef de la religion catholique. Il ne se souciait pas de laisser à aucun d’eux la conduite de cette affaire. Ni Cambacérès, à qui l’empereur reconnaissait beaucoup de capacité, mais.un peu de faiblesse, ni son oncle le cardinal Fesch, dont il se défiait plus que jamais à cause de ses tendances ultramontaines, n’étaient à son gré capables de se mesurer contre un pareil antagoniste. Lui seul avait la clé du caractère de Pie VII ; lui seul, un jour ou l’autre, un peu plus tôt, un peu plus tard, à la condition d’agir directement et par lui-même (il s’en tenait du moins pour assuré), était en état d’assouplir ou de briser, suivant qu’il le faudrait, l’ombrageuse obstination de ce vieillard. Son parti était donc pris : ou bien le pape céderait immédiatement, et dans ce cas, toutes les difficultés étant aplanies avant le commencement de la campagne, il n’y avait plus d’inquiétude à concevoir sur la façon dont le clergé se comporterait pendant la durée de la guerre, ou bien le pape résisterait, et alors il fallait resserrer plus que jamais sa captivité et lui enlever toute communication avec les fidèles de son église. De moyens termes, il n’en accepterait point. Au fond de son âme, et sans qu’il osât s’en exprimer ouvertement, la pensée de l’empereur allait plus loin encore. Après tout, si Pie VII se montrait en ce moment inflexible, était-il bien sûr que cela fût un mal ? Quand l’empereur de Russie aurait été battu, comme ne

  1. Lettre de M. de Chabrol au ministre des cultes, 19 novembre 1811.