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puissant. C’est un saint du troisième ou quatrième ciel, et son pouvoir sur l’esprit du pape est au-dessus de toute expression… Je n’ajoute aucune réflexion, sinon qu’avant de faire venir ici le père Menocchio, si on l’y fait venir, il paraît à propos de s’assurer de sa façon de voir les choses d’aujourd’hui, car, n’ayant à ce sujet que des ouï-dire, nous ne pouvons, quoiqu’ils soient favorables et assez uniformes, en répondre en aucune manière. Ce véhicule serait puissant, pourvu qu’il soit véhicule plutôt qu’obstacle[1]. »

Cette idée de faire venir le confesseur du pape à Savone n’agréa point à l’empereur, soit qu’il crût la chose inutile, soit qu’il se défiât un peu de l’avis que pourrait ouvrir ce saint du quatrième ciel. Laissé à lui-même, Pie VII devenait cependant de plus en plus perplexe, et sa santé s’en ressentait. « Je reviens de chez le pape, écrit M. de Chabrol le 5 novembre ; il était plus agité ; il avait peu dormi[2]. » Comme à son ordinaire, le préfet de Montenotte se mit à offrir ses conseils pour tirer Pie VII d’embarras. « En accordant toutes les bulles, il ne faisait rien de nouveau, mais il mettait seulement la dernière main à sa première décision. Là-dessus, le pape s’est répandu en protestations sur le désir ardent qu’il avait d’arriver à la paix de l’église. Il avait écrit nouvellement, m’a-t-il dit, un projet de lettre au cardinal Fesch, pour qu’il intercédât auprès de l’empereur et lui obtînt de nouveaux conseils. Il avait depuis renoncé à ce projet, parce qu’il y trouvait des difficultés. Certainement il ne refusait pas ce qui lui était demandé, il voulait seulement y mettre les formes. Je lui ai représenté que les formes ne s’appliquaient qu’aux circonstances ordinaires, et que tout dépendait de sa décision personnelle. Il n’était après tout question que d’une concession qu’il devait faire, et le privilège d’une dignité éminente comme la sienne était justement de pouvoir suppléer aux formes par sa volonté. La nécessité était ici évidente et lui en faisait une loi ; je le priai de considérer quel scandale donnerait au monde chrétien une restriction mise à un acte authentique contre le sens précis des intentions de la partie contractante. »

Le pape n’était pas aussi frappé que M. de Chabrol de la crainte du scandale que pourrait donner son opposition aux volontés de l’empereur, il redoutait au contraire celui qui résulterait de sa trop facile adhésion. « Il m’a dit que l’on penserait généralement qu’il avait non pas fait, mais acheté la paix. J’ai expliqué que l’opinion, loin de réclamer une résistance, était au contraire entièrement prononcée à cet égard, et qu’elle ne pouvait qu’être surprise de la lenteur de sa détermination… Le pape m’a répété qu’il tenait bien

  1. Lettre de M. de Barral, archevêque de Tours, à M. le ministre des cultes, 31 octobre 1811.
  2. Lettre de M. de Chabrol au ministre des cultes, 5 novembre 1811.