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L’émotion du pape avait été très vive, plus forte qu’il ne l’avait laissé voir aux évêques députés, quand il avait reçu d’eux cette communication inattendue. Il témoigna d’abord une grande répugnance à donner quelque réponse que ce fût dans l’état de séquestration où l’empereur continuait à le maintenir ; il s’en expliqua dans ce sens avec l’évêque de Plaisance, à qui, en sa qualité d’Italien, Pie VII parlait avec un peu plus d’ouverture de cœur qu’à ses collègues de France. « Le pape m’a assuré qu’il ne refusait pas de faire ce qu’on lui demandait ; mais qu’il ne se trouvait pas assez assisté. Quelques théologiens de confiance, quelques cardinaux de plus auprès de lui, lui seraient nécessaires pour calmer sa conscience. Je lui ai donné des raisons, je lui ai même dit des choses très fortes ; mais, d’après ce que je puis juger de cette conversation, la seule crainte de manquer à son devoir le retient. On travaille pour persuader les cardinaux, et chacun emploie tous les moyens[1]. »

Lorsque la nécessité se faisait sentir d’agir fortement sur le saint-père, c’était toujours au préfet de Montenotte qu’il fallait avoir recours. Aussi le voyons-nous entrer immédiatement en scène. « Je m’étais abstenu pendant ces derniers jours de voir le pape, écrit-il le 30 octobre à M. Bigot de Préameneu, afin de réserver quelque effort pour un moment favorable. Les dernières dispositions dont je vous ai rendu compte annonçant plus de liberté d’esprit, je me suis présenté ce matin chez le pape… J’ai trouvé sa sainteté dans la situation d’une personne qui est prête à se rendre de guerre lasse. J’ai profité du moment pour faire valoir avec force la raison de la nécessité, et je l’ai présentée avec les moyens qui pouvaient en faire le mieux ressortir toute l’urgence. Ces motifs n’ont pas laissé que de faire quelque impression. Le pape m’a avoué qu’en parcourant les circonstances les plus critiques que lui offre l’histoire, il n’en a trouvé aucune aussi impérieuse que celles qui pèsent sur lui. J’ai abondé dans son sens, en lui faisant observer que depuis la chute de l’empire romain il n’y avait eu aucune puissance qui pût être comparée à ce colosse, excepté l’empire de Napoléon, et que le parallèle de ces deux puissances devait entraîner une similitude dans le gouvernement de l’église aux deux époques[2]. »

Sans admettre tout à fait la théorie de M. de Chabrol, Pie VII lui répéta ce qu’il avait déjà dit à l’évêque de Plaisance. « Il voyait clairement la situation où il était placé, ainsi que l’église. Il avait totalement renoncé au temporel, et la raison de l’abdication indirecte de la souveraineté temporelle, n’était plus rien pour lui ; il ne lui restait

  1. Lettre de l’évêque de Plaisance au ministre des cultes, 26 octobre 1811.
  2. Lettre de M. de Chabrol à M. Bigot de Preameneu, ministre des cultes, 30 octobre 1811.