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ses derniers écrits[1]. L’archéoptéryx de Meyer, le compsognathus d’André Wagner, présentaient certainement des formes fort singulières à en juger par leurs squelettes. À tout prendre, ils ne faisaient pourtant que relier les reptiles aux oiseaux, à peu près comme l’ornithorynque les rattache aux mammifères et le lépidosiren aux poissons. Or d’une part ces types de transition sont encore fort loin de n’importe quelle espèce appartenant franchement à l’une de ces trois classes, de l’autre le fait de leur existence peut être invoqué, comme nous l’avons vu plus haut, par des doctrines fort différentes. Leibniz aussi bien que Lamarck n’eût pas manqué d’y trouver autant de preuves en sa faveur ; Robinet s’en serait emparé comme d’une démonstration ; il suffit de lire avec quelque soin les écrits de Geoffroy Saint-Hilaire pour reconnaître qu’il les eût accueillis avec joie comme diminuant le bond qu’aurait dû faire la nature en sautant brusquement d’un type bien défini à l’autre. Pour s’autoriser de ces faits, pour y trouver des argumens, il n’est pas nécessaire d’admettre d’une manière absolue la loi de continuité, telle qu’elle ressort rigoureusement des idées de Lamarck et de Darwin ; il suffit de l’accepter d’une manière générale et d’être, n’importe à quel titre et à quel degré que ce soit, évolutioniste comme Huxley et M. Gaudry[2], dérivatiste comme Owen, ou transformiste comme MM. Vogt et Dally. On peut d’ailleurs admettre la préexistence des germes, entendus soit à la façon de Bonnet, soit à la manière de Robinet, ou bien être épigéniste avec Geoffroy et les physiologistes modernes. Ces faits trouvent leur place dans les doctrines les plus diverses, parfois les plus opposées, et par cela même tout juge désintéressé reconnaîtra qu’ils ne peuvent venir en aide d’une manière spéciale à aucune d’elles.

III.


J’ai dû suivre la doctrine de la transformation lente sur le terrain des espèces éteintes, dans ce champ de mort où elle va chercher quelques-uns des argumens qu’elle croit les plus sûrs. J’ai hâte de rentrer dans les domaines de la vie, bien plus instructifs à coup sûr. La paléontologie ne nous révèle que des formes ; par suite elle ne permet de voir que le côté morphologique des problèmes complexes posés par l’existence et l’origine des espèces. En outre ces formes sont forcément incomplètes, car le polypier, la coquille, le squelette,

  1. On the animals which are most nearly intermediate between birds and reptiles ; Royal Institution of Great Britain, weekly evening meeting, february 7, 1868.
  2. Cours annexe de paléontologie ; leçon d’ouverture. M. Gaudry emploie le mot d’évolution comme Huxley ; mais il me semble se rapprocher bien plutôt d’Owen par la manière dont il envisage les questions dont il s’agit ici.