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une matière lubrifiante ; il reste sous le plateau de la presse un gâteau plat rectangulaire de paraffine sèche et blanche, rappelant assez bien le blanc de baleine ; on vend cette matière surtout dans le Kentucky, où il s’est établi quelques fabriques de bougies de luxe. Le dernier des produits contenus dans le pétrole brut est un coke plus dense que le coke de la houille et d’un beau noir luisant ; il s’attache au fond des alambics chauffés à feu nu, et brûle très bien sur les grilles en guise de charbon.

Dans les usines où la distillation s’opère par l’action directe du feu, les accidens les plus fréquens sont ceux qui proviennent des fuites de vapeurs de pétrole. En revêtant les cornues d’une épaisse chemise de briques réfractaires, on diminue les chances de rupture des enveloppes métalliques ; mais cela n’est point une garantie suffisante, il faut encore être prêt à chaque instant à éteindre en un clin d’œil tout commencement d’incendie dans le foyer. A cet effet, chacun des fourneaux est précédé par une chambre assez vaste qu’on peut clore hermétiquement grâce à un système d’épaisses portes de fer ; deux gros tuyaux partant des chaudières permettent aux gens du dehors d’étouffer l’incendie en inondant de vapeur d’eau cette chambre, le foyer, les conduits de flammes et la cheminée. L’effet de la vapeur est pour ainsi dire instantané ; mais le salut est dans la promptitude des mouvemens : il faut en quelques secondes se jeter hors de la chambre, en fermer les portes et ouvrir les robinets.

La conduite de toutes ces opérations, sur une échelle aussi vaste que celle adoptée à Pittsburg par les possesseurs de Tarr-Farm, ne peut être confiée qu’à un chimiste habile. Ce chimiste est l’âme et le vrai directeur de la raffinerie ; aussi les propriétaires lui ont-ils fait construire, dans une position pittoresque dominant la vallée, une habitation somptueuse. On devine, en la voyant, ce que sont les demeures des oil princes eux-mêmes dans Fifth avenue, à New-York. Comme ces princes de l’huile ont pour client le monde entier, leurs fortunes reposent sur une base beaucoup plus solide qu’on ne le croit d’ordinaire. Les folies de quelques-uns, les désordres causés dans cette industrie par l’irruption de joueurs impatiens et avides, ne furent que des accidens de surface. Au fond des choses, malgré quelques apparences inquiétantes, on constate une prospérité de bon aloi fondée par le travail acharné mis au service d’un esprit de suite imperturbable. Dans la seule ville de Pittsburg, il y avait en 1868 cinquante-huit raffineries de pétrole, représentant un capital de 20 millions de dollars.

Nous venons de prononcer le mot de folies ; il n’est point exagéré. Les prodigalités du fameux Coal oil Johnny, Jean du Pétrole, méritent une courte mention. Ce Johnny fut pendant quelque