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par les Américains[1]. Pendant que ce mouvement s’accomplissait, les raffineries de New-York, Boston et Philadelphie se trouvaient elles-mêmes atteintes par la concurrence des centres plus rapprochés d’Oil-Creek. En ce moment, Corry, Cleveland et Pittsburg sont les trois points vers lesquels se dirigent les plus grandes quantités de pétrole brut, pour y être distillé, mis en barils et expédié dans toutes les directions.

A sa sortie des tuyaux de fer, le pétrole s’écoule sur les tank cars ou dans les bulk boats, selon qu’il doit être exporté par rail-ways ou par eau. Le tank car est un châssis de wagon à marchandises, un truck sur lequel sont établis deux réservoirs analogues à ceux que l’on voit autour des puits, et pouvant transporter ensemble 15 tonnes d’huile. Quant au bulk boat, c’est un bateau semblable aux chalands à charbon qui remontent la Seine. Il reçoit le pétrole brut le long d’Oil-Creek, de l’Alleghany et de French-Creek ; de petits remorqueurs à vapeur convoient d’un seul coup trente et quarante de ces chalands, groupés en longs radeaux. Une fois l’une de ces caravanes vint se heurter contre les piles du pont d’Oil-City : le désastre fut immense, l’huile se répandit à flots sur l’Alleghany, et ce fut un heureux miracle qu’il ne se trouvât point sur son passage une étincelle, car le contact de l’eau attise les incendies de pétrole. On dit qu’un riverain eut la présence d’esprit de lever à la hâte, au fond de la petite île qu’il habitait, une digue informe, et qu’il recueillit de la sorte plusieurs centaines de barils d’huile dont personne ne vint lui contester la possession. De tels sinistres sont fort rares, et les cargaisons atteignent presque toujours Pittsburg sans encombre.

Par suite des avantages que lui fait son réseau de voies navigables, cette ville, située au confluent de l’Alleghany et du Monongahela, qui se réunissent en ce point pour former l’Ohio, est le plus grand entrepôt de pétrole de l’Amérique. Non-seulement elle fournit au marché intérieur, mais elle prend une large part au commerce d’exportation. Elle est sensiblement plus rapprochée de l’Océan, par la voie de Baltimore, que ne le sont les centres de fabrication qui débouchent sur Philadelphie ou New-York. D’ailleurs les huiles crûtes y conservent en tout temps un bon marché relatif, et ses raffineurs trouvent des facilités exceptionnelles dans un centre industriel de cette importance, muni de toutes les ressources possibles en matériel, on personnel, en institutions scientifiques, et situé au cœur même d’un bassin houiller plus riche que celui de la

  1. La Russie fait exception dans ce concert : elle a frappé récemment d’un droit énorme les huiles d’Amérique, afin de favoriser l’exploitation des pétroles qui abondent sur les bords de la Mer-Noire et de la Caspienne, ainsi que sur les deux versans de la chaîne du Caucase.