Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 80.djvu/908

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

en terre. Il y a de ces lignes de tuyaux qui ont 4 lieues de long. Dans beaucoup de cas, la différence des niveaux entre le point de départ et le point d’arrivée suffit pour que l’écoulement de l’huile s’opère tout seul. D’autres fois il faut employer le secours d’une machine à vapeur qui refoule le liquide. Des compagnies spéciales ont été organisées pour ce travail, qui s’effectue partout régulièrement sans donner lieu à contestations. En outre, comme chacun s’occupe de ses propres affaires avec beaucoup d’activité, personne ne songe à causer le moindre dommage aux tuyaux, même quand ils livrent passage au pétrole d’un concurrent : on les considère tacitement comme des organes indispensables à la vie de la contrée. Chose digne de mention peut-être, les conducteurs de teams, dépossédés de leur monopole par les oil pipes, n’ont rien fait pour les détruire : ils auraient perdu leur seul avoir, le temps, s’ils s’étaient arrêtés à récriminer ; d’autres industries dans d’autres pays miniers, au Colorado, à la Nevada, pouvaient avoir besoin de leurs services, et ils partirent au plus vite, abandonnant le champ libre aux hommes d’huile.

Les camions portant des barils de pétrole que l’on rencontre maintenant dans les sentiers de la vallée sont le plus souvent employés par les petits raffineurs, établis en grand nombre tout près des puits d’extraction. Ces industrieux producteurs opèrent très économiquement, utilisant tant bien que mal tous les sous-produits dont ils ne peuvent pas tirer de l’huile d’éclairage ; on les voit en campagne dès le point du jour pour acheter aux meilleures conditions possibles la matière brute et l’expédier vers les cornues de distillation ; ils connaissent mieux que personne l’état des affaires de chaque exploitant, et, l’argent à la main, sont fort experts dans l’art de tirer profit des situations embarrassées. L’huile d’éclairage qui sort de ces nombreux petits ateliers isolés les uns des autres n’est pas d’aussi belle qualité que le produit des fabriques établies en dehors d’Oil-Creek ; mais le bas prix auquel elle est obtenue fait une concurrence des plus salutaires à ces grands établissemens. Il faut même ajouter que d’année en année il devient plus avantageux de distiller l’huile brute aux lieux mêmes où elle sort de la terre. Ce vaste mouvement de concentration a commencé il y a trois ou quatre ans. Depuis cette époque, les distilleries de Liverpool, Hambourg, Brème, Anvers, Le Havre, Rouen, Paris, Marseille et Gènes ont dû insensiblement éteindre leurs feux. Les tableaux de douanes le montrent avec évidence, l’Amérique n’exporte plus aujourd’hui qu’un chiffre minime de pétrole brut ; aussi la plupart des raffineurs de ce côté-ci de l’Atlantique ont-ils fait une volte-face intelligente, et sont-ils devenus importateurs des huiles distillées