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qu’elles ne communiquent pas avec des poches pétrolifères voisines, soit parce que les petits canaux qui se ramifient en tout sens autour du fond des puits ont été obstrués peu à peu. Les oil men sont patiens, mais pas du tout résignés, et ce n’est jamais sans avoir tenté de vigoureux efforts qu’ils abandonnent définitivement la partie. L’un d’eux, ancien colonel dans l’armée fédérale, fit en 1865 l’invention du torpédo, qui a rendu la vie à des centaines de puits que l’on croyait asséchés pour toujours. Le torpédo est une torpille que l’on fait éclater au fond du trou de sonde et dont l’effet direct est de rouvrir les canaux obstrués, quelquefois même de donner naissance à de nouvelles crevasses où vient affluer un pétrole nouveau. Le mécanisme en est des plus simples. Un cylindre de fonte long de près d’un mètre porte à l’intérieur un autre cylindre concentrique chargé de nitro-glycérine ; l’intervalle annulaire entre les deux tubes est bourré de poudre à canon, et l’on fait à tout le système une fermeture solide, parfaitement étanche, qui porte sur la tête un petit chapeau destiné à produire l’explosion de la nitro-glycérine par une simple percussion. Le dangereux engin est suspendu à une ficelle, on le dirige avec prudence jusqu’au fond du puits, et le long de la corde raidie on laisse tomber un gros anneau de fer. Cela suffit : un bruit sourd se fait entendre sous la terre, qui tremble ; rarement une gerbe de feu, presque toujours une gerbe d’eau s’élance hors du trou de sonde, et tout expire. Il arrive sans doute bien des fois que le déchirement de la roche ne produit aucun résultat appréciable ; mais le succès a répondu souvent à ces tentatives, et pendant l’année 1866 notamment l’emploi des torpédos a contribué pour une bonne part au chiffre élevé de la production !

Ce n’était pas tout de produire beaucoup, il fallait encore transporter l’huile sur les marchés de l’intérieur et aux ports de mer. A l’origine, on ne se servait que de barils chargés sur des teams. Cela entraînait une foule de dépenses et de désagrémens. Les barils, quoique fabriqués sur place avec le bois de la forêt, coûtaient cher, et il fallait payer le retour avide ; puis on était esclave de la population grossière employée à ces transports : charretiers et palefreniers, recrutés parmi les déserteurs des camps et l’écume des grandes villes, régnaient en maîtres ; comme on ne pouvait tout d’abord se passer d’eux, leurs exigences menaçaient de dévorer en frais de transport le plus pur du bénéfice des producteurs. Aujourd’hui la plus grande partie du pétrole est envoyée à destination au moyen de tuyaux de fer (oil pipes) d’un petit diamètre qui franchissent les runs, plongent sous la rivière, serpentent dans les ravins ou couronnent les falaises, portés simplement sur des chevalets de bois que l’on fixe