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médicinaux et pour des pratiques de sorcellerie[1]. On raconte que dès 1819 les premiers pionniers de l’Ohio brûlaient dans des lampes le pétrole brut qu’ils trouvaient le long de la petite rivière Muskingum. Dans l’état de New-York, au Canada, dans la Virginie occidentale et le Kentucky, l’on en connaissait aussi quelques sources. C’étaient des suintemens produits par le filtrage des eaux de pluie à travers les terrains superficiels. Le débouché de cette matière demeurait néanmoins tellement restreint que les mineurs de la Virginie occidentale considéraient comme une calamité véritable la rencontre des veines de pétrole dans les puits qu’ils foraient pour rechercher des gisemens de sel gemme. Vers 1853, un spéculateur de New-York, alors avocat, aujourd’hui salué partout du titre de oïl king, remarqua dans le cabinet d’un savant une bouteille de pétrole provenant d’une vallée du comté de Venango, dans la partie nord-ouest de l’état de Pensylvanie. Frappé de l’idée que cette substance remplacerait avec avantage le bog-head écossais pour la fabrication des huiles minérales, il acheta immédiatement dans cette vallée tous les terrains où l’on avait reconnu la présence du pétrole : cela ne formait guère plus de 50 hectares, et représentait toute la superficie qui passait alors pour avoir le privilège de recouvrir les sources d’huile de la Pensylvanie. L’année suivante, sous le nom de Pennsylvania rock oil company, fut organisée à New-York la première des compagnies de pétrole. Il s’agissait à la fois de trouver du pétrole en abondance et de le distiller assez économiquement pour en retirer de l’huile d’éclairage à un prix moindre que celui des huiles de schiste.

Les fondateurs de cette industrie durent ainsi aborder deux problèmes dont la solution n’avait encore été fournie nulle part. Il leur fallait d’un côté combiner les meilleurs appareils pour la distillation et la rectification du pétrole, de l’autre creuser la terre dans tous les sens pour atteindre les nappes inférieures d’où provenaient les minces filets d’huile qui avaient donné l’idée de la spéculation. Cette seconde partie des recherches était absolument aléatoire. Aucune découverte antérieure n’autorisait à concevoir l’espérance que l’on rencontrerait ces réservoirs, encore moins qu’ils

  1. Ces usages et ces pratiques étaient connus, i ! y a deux mille ans, dans le bassin de la Méditerranée. Pline décrit vingt-sept remèdes tirés du bitume liquide de Babylone et de Zacynthe (Zante). Les anciens l’employaient dans le traitement des rhumatismes articulaires, de l’asthme, de la goutte, du rhume de poitrine, de la putréfaction des plaies, des fièvres intermittentes et de l’épilepsie. Ils l’utilisaient aussi à la guerre, et on le voit figurer dans certains supplices. Pline pense que c’est avec du bitume que Médée consuma sa rivale. Au commencement de ce siècle, Hahnemann a décrit un nombre considérable de symptômes que manifeste l’organisme sous l’influence du traitement par le pétrole couleur d’ambre, tel qu’on le prépare dans les officines.