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opportune que la question du pétrole s’est fort élargie dans ces dernières années. Be 1861 à 1866, le chiffre des exportations des États-Unis s’était élevé progressivement de 1 million à 67 millions de gallons. En 1867, on put croire que ce dernier nombre donnait assez exactement la limite extrême des besoins de la consommation étrangère, car il ne fut pas franchi ; mais en 1868, par un saut brusque, le total des exportations atteignit presque 100 millions. En même temps la consommation intérieure des États-Unis a augmenté au point de représenter aujourd’hui le tiers de la production totale. Au commencement de 1868, il existait en Europe et en Amérique une réserve notable ; dans le cours de cette même année, pour faire face à la demande, la production a dû néanmoins atteindre et quelquefois dépasser le chiffre énorme de 13,000 barils par jour[1]. De nouveaux territoires ont été mis en exploitation dans la vallée d’Oil-Creek, la localité classique du pétrole, celle qui fournit la presque totalité des huiles minérales employées à l’éclairage dans le monde entier. En 1869 au contraire, la réserve est presque nulle, et il va falloir attaquer des zones pétrolifères dont l’exploitation, plus difficile, avait été jusqu’à présent ajournée.

Dans l’ordre des arts utiles, chaque âge révèle des tendances caractéristiques. Au siècle dernier, les hommes avaient besoin de se vêtir à bon marché ; c’est ce qui fit la fortune d’Arkwright et des filateurs à la mécanique, la prospérité soudaine de Manchester et des villes du continent qui importèrent les nouvelles méthodes de travail. Au XIXe siècle, on veut de la lumière, même dans le wigwam d’écorce de bouleau de l’Indien, même dans la cabane de boue du pauvre Ruthène de Galicie. L’introduction de la plus modeste lampe y vient activer la vie de famille en prolongeant la veillée. La France a contribué dans une très large mesure à produire ce résultat. Le verre d’Argand, premier progrès sur la mèche fumeuse de l’ancien temps, remonte à peine à la veille de la révolution française ; la lampe Carcel et le gaz sont d’hier. Une foule d’inventeurs obscurs ont perfectionné sans relâche les mécanismes des lampes, afin d’échapper à la nécessité coûteuse de brûler des huiles végétales. Ces tentatives, qui eurent quelque vogue sous la monarchie de juillet, ont préparé le succès du pétrole : malheureusement elles vinrent à un moment où il était prématuré de songer à la vulgarisation de l’éclairage par les huiles minérales. La matière première manquait ; les arts chimiques n’avaient point fourni le moyen d’extraire ces précieuses substances des schistes auxquels elles se

  1. Le gallon impérial mesure environ 4 litres et demi. Le baril contient 33 gallons impériaux, soit environ 150 litres.