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Italiens, ni les Valaques, aucun, sauf les Tyroliens peut-être, ne veut subir plus longtemps la domination d’une autorité ecclésiastique qui prétend proscrire la liberté des cultes, de l’enseignement, de la presse, de la parole, pour rétablir l’inquisition et l’index ? En France, ce régime n’alarme personne, parce que l’on a cessé, à tort peut-être, d’en craindre le retour ; mais en Autriche il constituait l’ordre légal fondé sur un contrat conclu avec le saint-siège. Il ne faut donc pas chercher plus loin d’où sort ce cri qui n’a cessé de retentir en Autriche depuis 1866 : « à bas le concordat ! » Quand Voltaire, lui aussi, répétait à bas l’infâme ! ce n’est point à la religion du Christ qu’il en voulait, car à celle-ci il a presque toujours rendu justice. Ce qu’il visait à détruire, c’était l’institution oppressive et intolérante élevée par les papes et les conciles. S’il a prêté à l’opposition anti-catholique l’arme mortelle de sa mordante ironie, c’est que ce vieillard, à qui l’anniversaire du 22 août arrachait des larmes, voyait toujours le sang de la Saint-Barthélémy sur la robe blanche du lévite.

Naguère en Autriche, l’opinion, invoquant les traditions de Joseph II, n’attaquait d’abord que le concordat ; mais quand le clergé, obéissant au mot d’ordre venu de Rome, s’est mis à défendre par tous les moyens cette œuvre de tyrannie cléricale, on s’est retourné contre lui, et les coups portent déjà sur le dogme catholique lui-même. Le différend s’aggrave, la lutte devient chaque jour plus vive. J’essaierai d’en faire connaître les mobiles et l’es péripéties, je me garderai toutefois d’en prédire l’issue. Le gouvernement actuel a pour lui l’esprit moderne et la sympathie de tous les amis de la liberté ; mais la puissance de l’église, pour le mal comme pour le bien, est très grande, surtout dans un état profondément ébranlé et en voie de transformation. Si l’église devait remporter dans ce regrettable conflit, comme son triomphe deviendrait la cause presqu’infaillible de la chute de l’empire autrichien, je ne crois pas qu’une semblable victoire pût augmenter son prestige ou accroître son influence. On n’a pas oublié que ces résistances du clergé ont fait avorter les réformes de Joseph II et celles de la révolution française. Les ministres actuels, qui ont porté la main au concordat sans avoir toutefois osé l’abolir, succomberont peut-être à leur tour. Seulement ces échecs sans cesse répétés ne tueront pas l’esprit moderne, et ils n’auront qu’un résultat : ils rendront l’antagonisme entre cet esprit et l’église plus âpre, plus irréconciliable et plus funeste pour tous.


EMILE DE LAVELEYE.