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aucune science ne pourrait être dit qui fût considéré par l’autorité ecclésiastique comme contraire à ce qu’elle juge vrai. Ainsi qu’autrefois, les dissidens n’auraient de choix qu’entre l’abjuration et l’exil, car les évêques s’engagent par serment à les poursuivre, et, étant les maîtres absolus, ils seraient tenus de remplir leur promesse. Le mariage, les testamens, tous les actes de la vie civile, seraient réglés par le prêtre. Enfin l’absolutisme remplacerait le régime parlementaire, incompatible avec la mise en pratique des lois canoniques. Est-ce un tableau de fantaisie que nous venons de tracer ? Non, c’est celui d’un état organisé selon l’esprit du concordat autrichien, et telle était la condition qui allait être faite à l’Autriche sans les événemens qui, au prix de pénibles échecs sur les champs de bataille, lui ont valu du moins l’émancipation dans sa vie civile et politique.

Quand on considère que voilà le régime que le saint-siège voudrait imposer à tous les peuples, parce qu’il est seul conforme aux dogmes catholiques, on cesse de s’étonner de la résistance, de l’hostilité que l’église rencontre partout, et on est moins disposé à y voir, avec le père Félix, un fait surnaturel. Il se peut que certains esprits et certains peuples soient faits pour vivre sous la main du sacerdoce. Plus j’étudie les faits contemporains, plus je me sens porté à admettre qu’il est des nations qui ont été si complètement pliées à ce joug, que tenter de les en délivrer, c’est hâter leur décadence. Soumises au clergé, elles restaient stationnaires ; révoltées, elles déclinent, car, à peine affranchies, elles tombent dans une anarchie irrémédiable. Néanmoins les sociétés actuelles n’accepteront pas volontairement une domination que le moyen âge supportait à peine, et elles maudiront ceux qui les contraindront à s’y soumettre. L’église prétend leur ravir ces libertés d’où sort la civilisation moderne ; est-il singulier qu’ils s’élèvent contre l’église ? M. A. de Broglie croit que l’antagonisme entre le catholicisme et la société actuelle a pour seule cause le caractère abstrait et philosophique que la France, par l’organe de ses divers législateurs depuis 1789, a toujours affecté de donner aux principes politiques qu’elle adopte. Je rencontre cette hostilité bien autrement violente en Autriche qu’en France, et cependant l’Autriche, loin d’accepter les principes de la révolution française, n’a cessé de les combattre. Depuis la réaction contre Joseph II et surtout depuis le concordat de 1855, ce sont au contraire les principes de l’église qu’elle a adoptés et mis en vigueur. Ce ne sont donc point les maximes absolues de 1789 qui sont ici la cause du mal. Ne faut-il pas plutôt admettre que la raison de ce regrettable antagonisme est qu’aucun des peuples autrichiens, ni les Allemands, ni les Hongrois, ni les Slaves, ni les