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peut croire que la liberté donnée à tous permettrait peut-être de rendre douteuse la victoire du clergé.

Le concordat autrichien avait livré à l’omnipotence épiscopale non-seulement les écoles publiques, dont à la rigueur l’état pouvait disposer, mais, chose qu’on a peine à croire, les écoles privées, les établissemens fondés par les particuliers[1], sur lesquels l’état n’avait aucun droit. Tout l’enseignement, dans toutes ses branches, devait y être conforme à la religion catholique, et c’étaient les évêques qui jugeaient de l’orthodoxie des leçons et des livres. Ainsi donc nul refuge pour la liberté. L’histoire, la chimie, la géologie, doivent se conformer au dogme. Partout où l’on enseigne, personne ne s’en écartera.

La liberté de la presse et des lectures n’était pas plus respectée que celle de renseignement. D’après l’article 11, « les archevêques, les évêques et tous les ordinaires exerceront en toute liberté le droit qui leur appartient de flétrir de leurs censures les livres dangereux pour la religion ou les bonnes mœurs, et de détourner les fidèles de la lecture de ces ouvrages. De son côté, le gouvernement veillera à ce que de pareils livres ne se propagent pas dans l’empire, et il prendra pour cela des mesures convenables. » Ainsi donc l’église condamne, l’état exécute ; l’index signale les livres, la police les proscrit. C’est comme au bon temps : les familiers désignaient les victimes, le pouvoir civil ne se réservait que le soin d’allumer le bûcher. Certes le clergé doit avoir le droit de condamner les écrits qu’il juge mauvais et celui de détourner les fidèles de les lire ; mais que l’état soit obligé par un traité de prêter main-forte à de semblables condamnations, c’est ce que notre temps aura peine à admettre. Pour y préparer les générations nouvelles, il faudrait leur mieux inculquer les maximes en vigueur à Rome. Il est vrai qu’on y travaille.

A entendre les Autrichiens, rien n’a été plus funeste à leur pays que cette domination absolue du clergé dans tout le domaine intellectuel, et quand on a visité l’Autriche, on est disposée croire qu’ils ont raison. Le despotisme du pouvoir civil, quoique toujours très défavorable à l’activité des esprits lorsqu’il dure, peut cependant se concilier pendant un certain temps avec le développement des sciences ; tant qu’on respecte l’autorité, un despote même se montre assez tolérant pour le reste. Avant 1848, la Prusse ne jouissait pas d’une très grande liberté ; néanmoins les recherches scientifiques, fût-ce en matière théologique et philosophique, n’étaient guère

  1. Voici le texte officiel allemand : Der ganse Unterricht der katholischen Jugend wird in allen, sowohl öffentlichen als nicht öffentlichen, Schulen der Lehre der katholischen Religion angremessen sein.