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canoniques. » Chacune de ces paroles mérite l’attention. Non-seulement le catholicisme est déclaré culte privilégié ; mais il sera maintenu éternellement, ce qui exclut la liberté religieuse. Cette liberté est d’ailleurs condamnée par les lois canoniques, qui doivent être toujours maintenues en vigueur. La liberté de conscience n’est pas proscrite ici en termes exprès, sans doute pour ne pas alarmer les dissidens, assez nombreux dans l’empire ; mais le texte montre clairement que le but à atteindre est le rétablissement de l’unité de la foi avec l’appui du bras séculier, quand les circonstances le permettront. Quelques apologistes des actes du saint-siège, comme M. l’évêque d’Orléans et M. l’abbé Gratry[1], ont nié que tels

  1. Dans un livre intitulé la Philosophie du Credo, le père Gratry écrit ce qui suit : « La société laïque est responsable des bûchers ; quant à l’église, elle a toujours maintenu son horreur du sang. L’église catholique est le corps le plus tolérant qui ait jamais existé (p. 183). » Il est vraiment étrange que le père Gratry ait pu oublier si complètement la doctrine canonique que Bossuet résume dans les termes suivans : « Je déclare que je suis et que j’ai toujours été du sentiment : premièrement, que les princes peuvent contraindre par des lois pénales tous les hérétiques à se conformer à la profession et aux pratiques de l’église catholique ; deuxièmement, que cette doctrine doit passer pour constante dans l’église, qui non-seulement a suivi, mais encore demandé de semblables ordonnances aux princes ; ces maximes sont constantes et incontestables parmi les catholiques. » Comme le père Gratry demande qu’on n’affirme pas sans preuves, le lecteur voudra bien m’excuser de citer celles que l’évêque de Montauban a réunies à l’appui de ces maximes dont il voulait convaincre Bossuet. Après avoir invoqué l’autorité de saint Augustin, l’évêque ajoute : « L’effet des déclarations des empereurs et des rigueurs salutaires dont la charité était le principe fût si grand que presque toute l’Afrique fut convertie ; quelques restes de donatistes obstinés échappèrent seulement au zèle des princes et des prélats. Saint Léon, dans sa LXXXVe lettre à l’empereur, lui adresse ces telles paroles : « Grand prince, vous devez punir les sectateurs de Nestorius. » Saint Grégoire, pape, dans sa lettre à Patrice, exarque d’Afrique, l’exhorte à employer à la destruction de l’hérésie le pouvoir que Dieu lui a confié, et dans celle qu’il écrit au roi d’Angleterre, il le loue d’avoir procuré le progrès de la religion par les instructions, par la terreur, par ses bienfaits et par ses exemples. Saint Bernard, qui a été le plus doux et le moins sévère des pères de l’église, dans le 66e sermon, sur le Cantique des cantiques, conclut qu’il vaut mieux punir les hérétiques par le glaive de la puissance temporelle que de souffrir qu’ils persistent dans leurs erreurs. C’est sur ces principes, établis par une tradition constante de l’église, que les empereurs chrétiens ont toujours donné des lois très sévères contre les hérétiques pour les obliger à se réunir à l’église catholique. On ne voit point que l’église se soit jamais plainte de la sévérité de ces lois ; au contraire, nous avons prouvé qu’elles avaient été la plupart approuvées, demandées et sollicitées par les conciles. » Et l’évêque cite à l’appui de ce qu’il dit les pères, les papes et. les conciles, dont plusieurs œcuméniques : saint Augustin (epist. XCIII ad Vinc.), saint Isidore, saint Grégoire le Grand, saint Thomas, saint Bernard, toutes les décrétâtes sur la matière, les conciles de Carthage de 404 et 405, le concile de Milèves de 416, canon XXV, les conciles de Tolède de 633 et 693, le 3e concile de Latran, canon XXVII, le 4e concile de Latran, canon III, et les conciles de Paris, de Toulouse et de Béziers, tenus au XIIIe siècle. L’extermination des hérétiques par le glaive est donc une tradition constante et universelle, un dogme. Cela étant, comment le père Gratry a-t-il pu attribuer à l’église une tolérance qu’elle a toujours condamnée, anathématisée ?