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n’ont pas changé, en supposant que les échantillons les plus anciens ne remontent qu’à la IVe dynastie[1]. Or, soit pour les plantes, soit pour les animaux, on a pu souvent étudier ici les parties les plus délicates, les caractères extérieurs, aussi bien que les particularités du squelette. Quant à ce dernier, Darwin lui-même reconnaît qu’il est resté le même depuis la fin de la période glaciaire, et on pourrait remonter encore plus loin pour certaines espèces. Nous arrivons ainsi aux âges géologiques, à ces périodes dont l’auteur anglais évalue la durée par millions d’années, et pourtant les espèces qui les ont traversées pour arriver jusqu’à nous ont conservé les caractères qu’elles montraient au début.

Comment accorder ces faits avec les théories qui admettent la mutabilité des espèces ? La réponse de Lamarck est simple et logique. Toute modification de l’organisme suppose un besoin nouveau qui s’est fait sentir et a produit de nouvelles habitudes. Ce besoin lui-même est causé d’ordinaire par un changement dans les conditions d’existence. Que celles ci restent les mêmes, et l’espèce n’a aucune raison pour se modifier. Voilà, dit Lamarck, pourquoi les animaux, les végétaux de l’ancienne Égypte ressemblent à ceux de nos jours ; voilà, dirait-il aujourd’hui, pourquoi nos espèces n’ont pas varié depuis l’époque glaciaire, pourquoi les espèces boréales, qui pendant cette époque étaient descendues jusque chez nous, ont conservé tous leurs caractères grâce à la retraite qu’elles ont su trouver près du pôle quand la température générale de l’Europe s’est adoucie. Dans le système de la Philosophie anatomique, cette explication est suffisante, car cette théorie comporte une constance temporaire indéfinie aussi bien que des variations incessantes. Il en est tout autrement de la théorie de Darwin. Ici la variation dépend de la sélection, commandée elle-même par la lutte pour l’existence. Or celle-ci ne s’est pas plus arrêtée sur les bords du Nil que partout ailleurs : elle a régné pendant et après l’époque glaciaire tout autant que de nos jours. La sélection n’a pas pu s’arrêter davantage. Si elle n’a rien produit, c’est qu’elle n’a exercé aucune action pendant les périodes dont il s’agit. Telle est la conclusion inévitable à laquelle conduisent les principes fondamentaux de toute la théorie, et qu’ont vainement cherché à combattre quelques disciples enthousiastes de Darwin. Ils oubliaient que leur maître lui-même, avec cette loyauté qu’on ne saurait trop signaler, l’accepte comme ressortant des faits ; mais il est par cela même conduit à présenter sa théorie sous un aspect fort différent, ce me semble, de celui qu’elle revêt dans d’autres passages.

« La théorie de l’élection naturelle, dit Darwin, ne suppose pas

  1. Aperçu de l’histoire ancienne d’Égypte, par A. Mariette-Bey.