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possibilité comme des preuves et l’inconnu comme un argument. Certes, partout ailleurs que lorsqu’il s’agit de ces problèmes obscurs et des hypothèses qu’ils ont fait surgir, cette question serait superflue. Ce qu’on demanderait avant tout, ce seraient des faits, des observations, des résultats d’expérience. Hâtons-nous donc de revenir sur ce terrain, véritable domaine de la science sérieuse.


II.


Les théories que je combats ont toutes eu leur moment de succès. Geoffroy Saint-Hilaire, Lamarck, ont eu et ont encore leurs disciples ; ceux de Darwin sont bien plus nombreux, et parmi eux on compte quelques-uns des naturalistes qui ont conquis par leurs travaux personnels la plus sérieuse, la plus légitime autorité. Toutefois ce n’est pas ordinairement sans réserves que ces hommes d’élite ont accordé leur adhésion au savant acclamé par la foule comme un révélateur. Dans ses Leçons sur l’homme, Vogt se met parfois en opposition absolue avec la doctrine qu’il adopte néanmoins d’une manière générale. Huxley lui-même, qui s’est fait en Angleterre le défenseur éminent et zélé du darwinisme, reconnaît que cette doctrine ne peut être reçue qu’à titre provisoire. Il la compare à la théorie qui attribue la lumière aux ondulations d’un éther mis en mouvement par les vibrations des corps lumineux. « Le physicien philosophe, dit-il, peut admettre cette théorie, bien que l’existence de cet éther soit encore hypothétique. Il en est de même de la théorie de Darwin, qui ne pourra être acceptée définitivement qu’à la condition de montrer que le croisement sélectif peut donner naissance à une espèce physiologique[1]. » Je reviendrai plus tard sur cette grave considération. Je veux montrer d’abord que, dans la comparaison qu’il vient d’établir, Huxley attribue au darwinisme une valeur très exagérée.

Sans doute, en dehors de ses manifestations lumineuses, calorifiques, personne ne connaît l’éther, et en réalité nous ignorons ce qu’est cet agent. Mais lorsque la théorie des ondulations vint se substituer à celle de l’émission, elle rendit immédiatement compte mieux que sa devancière de tous les phénomènes alors connus ; elle en fit découvrir de nouveaux ; elle supporta, elle supporte encore tous les jours la rude épreuve de l’analyse mathématique. Sans connaître l’éther en lui-même, le physicien est donc autorisé à dire : tout est comme si cet éther existait. Or c’est précisément cette preuve expérimentale qui manque à la doctrine de Darwin comme à celle de Lamarck, comme à toutes celles qui ont admis ou qui admettront une de leurs hypothèses les plus fondamentales, celle

  1. De la place de l’homme dans la nature, chap. II.