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dont nous vivons ; car ce qui se dépose avec le temps dans la raison et la conscience des hommes, ce qui y demeure et finit par faire partie de nous-mêmes, ne peut être que le vrai. »

Sauf un presque que tous n’avoueront pas, un tel morceau pourrait être signé par tout ce qu’il y a d’esprits indépendans. J’ai admiré çà et là dans le volume, mais nulle part peut-être plus que dans ces pages, tout ce qu’un esprit fin et une plume habile, conduits par une pensée équitable et généreuse, peuvent faire entrer sans violence de bonnes idées chez tel qui les repousserait venant d’ailleurs, en les suggérant plutôt qu’en les imposant, et rendant les gens sages par la seule contagion de la sagesse. Il y a une critique qui livre l’assaut ; il y en a une autre, c’est celle de M. Martha, qui entre insensiblement dans la place, et qui fait son œuvre par une douce persuasion. Lisez donc, dirai-je à tous, un livre où l’antiquité en général et en particulier l’école d’Épicure sont parfaitement connues et jugées, un livre plein d’idées nobles et délicates rendues d’une manière toujours heureuse, quelquefois exquise, où rien n’est oublié de ce qui peut faire comprendre un poète dont le nom est un des plus grands de l’Italie, justement fière de tant de grands noms, l’Italie de Virgile et de Dante, un livre qui a été composé avec amour, car on devine, au plaisir qu’il donne au lecteur, celui qu’il a donné à l’auteur lui-même. Le volume n’est pas gros, et on trouve en le lisant qu’il finit trop vite ; il n’en comptera pas moins parmi les meilleurs titres philosophiques et littéraires d’un écrivain que le public goûte depuis qu’il écrit.


ERNEST HAVET.



REVUE DRAMATIQUE.
PATRIE, drame en cinq actes, de M. VICTORIEN SARDOU.


M. Victorien Sardou, si adroit et si heureux au théâtre, nous paraît avoir des amis bien imprudens. N’a-t-on pas prononcé le nom de Corneille à propos d’une scène de sa nouvelle œuvre ? N’a-t-on pas dit que la grande tradition poétique était renouée, que le drame venait de renaître, le drame où revivent les passions des âges disparus, et que du premier coup un des plus spirituels amuseurs de la société contemporaine, l’auteur ingénieux des Pattes de mouche, le moraliste de la Famille Benoîton, avait conquis ce périlleux domaine ? De là, il faut bien le dire, le désappointement des spectateurs qui, sur la foi de la rumeur publique, ont accueilli trop aisément cette bonne nouvelle. Préparés à l’admiration par le triomphe de la première soirée, ils arrivent, et que trouvent-ils ? Une pièce à grand spectacle, une mise en scène brillante, des tableaux tumultueux qui se lient faiblement au drame, enfin une action