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du grand siècle, croyait encore que c’est Dieu qui tonne, ce qui veut dire évidemment que dans sa pensée Dieu se manifeste plus particulièrement par son tonnerre, et qu’il le fait entendre comme une menace. Ainsi Boileau était encore comme ces enfans de l’antiquité qui faisaient pitié à Lucrèce, et qui font pitié à M. Martha ; mais passons sur le moyen âge et sur le XVIIe siècle, descendons jusqu’à la révolution, jusqu’à la date même où nous sommes, et nous verrons que l’auteur flatte beaucoup trop encore la philosophie religieuse de son temps. « Aujourd’hui, dit-il, quelle que soit la diversité de nos croyances philosophiques et religieuses, nous sommes tous d’accord pour ne point craindre les phénomènes naturels qui jadis causaient tant d’effroi… La nature ne provoque plus que la curiosité et ne produit plus l’épouvante. On contemple, on étudie ses mystères, on vit en elle, sans trouble. Non-seulement elle paraît plus innocente depuis qu’on la laisse à ses lois ; mais encore elle paraît, par ses lois mêmes, plus digne de son auteur. Les âmes les plus pieuses, les plus promptes à frissonner sous un avertissement divin, ne croient plus qu’une nuée plus ou moins noire, que les feux, les bruits du ciel, soient des signes de colère. On suit le conseil de Lucrèce, qui recommande de considérer tout cela d’un cœur tranquille,

… Pacata posse omnia mente tueri. »


Oui, voilà bien en effet l’état de tous les esprits raisonnables ; mais le vulgaire en est-il là, et ne fait-on plus rien pour le vulgaire ? N’y a-t-il pas toujours des prières solennelles pour les sécheresses et les intempéries, pour les épidémies et toutes les violences de la nature ? Ne bénit-on pas des cloches en leur conférant le pouvoir de conjurer la tempête ? Et ceux qui ont autorité sur les peuples ne leur prêchent-ils pas, suivant une tradition constante, que les calamités ou les malheurs de toute espèce, jusqu’à la mort d’un enfant héritier d’une couronne, ont leurs causes dans les péchés des hommes, et particulièrement dans les tentatives et les progrès de l’impiété ?

A l’occasion du fameux troisième livre de Lucrèce, consacré à enseigner que tout finit pour l’homme à la mort, M. Martha, afin d’excuser son poète, dit que la croyance à une autre vie ne contenait chez les païens que des terreurs, tandis que cette croyance ne suppose aujourd’hui que des idées consolantes. Sans examiner s’il n’est pas injuste envers les enfers païens, il demeure certain qu’il méconnaît l’enfer moderne et le purgatoire. C’est ici qu’il appelle à son secours un rapprochement très ingénieux. A côté de cette pensée de Lucrèce, qu’il n’y a pas d’enfers ni de Tartare, si ce n’est dans l’âme de ceux qui ne vivent pas suivant la sagesse, il cite certains passages des sermons de Bossuet où il croit lire aussi qu’il n’y a d’autre enfer que le péché, et que l’enfer est tout entier dans l’âme du pécheur. J’imagine qu’il a trouvé quelque part ces passages isolés et qu’ils lui ont fait illusion ; mais l’illusion ne se