Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 80.djvu/795

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

portion de vérité, et j’ajoute qu’il l’a mise dans une grande lumière. Les deux chapitres qu’il a consacrés à ce travail sont la partie la plus remarquable de son étude historique. Il est très vrai que dans l’antiquité le surnaturel pesait bien autrement qu’aujourd’hui sur l’imagination des hommes et sur leur vie. Quand Épicure les fortifiait contre la crainte de la mort ou la crainte des dieux, il avait affaire à des terreurs qui ne sont plus à beaucoup près parmi nous ce qu’elles étaient alors. Ce qu’on craignait dans la mort, ce n’était pas seulement les châtimens d’une autre vie, c’était je ne sais quelle nouvelle existence qu’on se figurait à part même des justices divines : existence sombre, froide, désolée, où l’homme se survivait en quelque sorte pour sentir ce qui lui manquait et pour en souffrir. Les âmes restaient dans le tombeau comme dans une prison, affligées de toute manière et même affamées : on leur portait à manger. Je ne dirai pas que de pareilles idées soient sorties aujourd’hui de tous les esprits ; mais elles ne font plus de droit partie d’une religion, et ne sont plus avouées par aucune doctrine. Quant à l’action des dieux dans cette vie, elle se faisait sentir tous les jours, toutes les heures pour ainsi dire, du moins aux esprits timorés, de la manière la plus troublante. Les dieux se mêlaient de tout et s’irritaient à tout propos, comme des maîtres tracassiers et tyranniques. Tout était prodige, tout était présage ; le moindre accident, un songe même, était un signe de leur intervention et une menace ; il fallait sans cesse conjurer et expier. Un malheur n’était pas seulement fâcheux en lui-même, il l’était encore parce qu’il témoignait de la colère des dieux, et ainsi la vie n’avait pas une seule tristesse qui ne fût grosse de mille craintes. Ces dieux avaient besoin des souffrances de l’homme et souvent même demandaient son sang. Plutarque, dans un passage cité par l’auteur, nous représente le dévot peureux qui court au temple pour offrir un sacrifice, mais qui pâlit sous sa couronne, qui met l’encens sur le feu d’une main tremblante, qui entre dans le sanctuaire comme dans la caverne d’un ours ou d’un dragon. Voilà ce qui soulevait les révoltes d’Épicure, et il est permis de dire que ce n’est pas précisément là ce qu’on appelle autour de nous la religion. Tout ce développement est de ceux ou l’auteur a déployé le plus de critique ; mais il en tire une conclusion trop générale et sur laquelle j’aides objections à lui faire, en respectant ses opinions et en demandant pardon pour la liberté des miennes.

Et d’abord quand M. Martha met en opposition les croyances païennes et ce qu’il appelle nos croyances, il ne tient pas compte de tant de siècles qui se sont passés depuis le paganisme jusqu’à nous, il oublie et il veut oublier que ces siècles ont été remplis de superstitions aussi grossières, aussi malfaisantes que l’étaient celles de l’antiquité, que ces superstitions ont duré jusqu’au jour où s’est levée la lumière de la science moderne, et que ce jour même ne les a que bien lentement et bien imparfaitement dissipées. Il ne dit pas que Boileau, au milieu même