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il se présentait. Les relations de l’ouvrier et du patron n’en étaient point affectées, et ce qu’il y avait en définitive de plus blessant, c’était l’estampille obligée de la police. Cette estampille, le gouvernement l’avait imposée, il là supprime, rien de mieux. Tout ce qui peut relever à leurs propres yeux ou dans la vie sociale ces fils du travail et de l’industrie est de stricte équité et d’une politique intelligente. Qu’on fasse donc disparaître le livret, si on y voit une dernière marque d’assujettissement, ce n’est pas un mal ; seulement il ne faut rien grossir : ce n’est pas là visiblement une réforme de première importance, et elle deviendrait un danger, si par une complaisante fiction on la transformait en une victoire des ouvriers sur les patrons, si on se berçait un peu trop dans ce balancement d’élémens contraires dont parle le discours impérial. Un livret de plus ou de moins ne fait rien à l’affaire aujourd’hui, parce que, après tout, la question n’est pas là, elle est dans l’idée qu’on se fait du salariat, dans les rapports du capital et du travail, et c’est ici qu’il faudrait, non pas tant chatouiller l’amour-propre des ouvriers que les redresser, les éclairer sur leurs intérêts en les ramenant au sentiment de solidarité qui unit les forces diverses de l’industrie, qui seul peut les féconder au profit de tous.

Rien sous ce rapport n’est certes plus curieux, plus tristement instructif que cette grève qui vient d’éclater à Genève, et qui est l’image de toutes les grèves depuis que ces crises de l’industrie contemporaine sont non plus seulement une maladie accidentelle, mais un acte réfléchi, prémédité, une véritable tentative de révolution dans le domaine économique. C’est là en effet ce qu’il faut remarquer ; de plus en plus les grèves tendent à prendre en quelque sorte un caractère abstrait ; elles ne naissent plus d’une situation particulière, d’une cause pratique et locale ; elles sont le résultat d’une idée arrêtée ; elles ressemblent à un assaut contre la constitution industrielle, contre les lois les plus élémentaires du travail, et la grande promotrice de la doctrine nouvelle, c’est cette association internationale des travailleurs qu’on a vue tenir ses assises un peu partout, à Bruxelles, à Berne comme à Genève, qui a établi depuis quelque temps son quartier-général dans cette dernière ville. Elle a mis la main sur une société typographique qui s’était organisée à Genève, et elle décrète aujourd’hui la grève des ouvriers imprimeurs, comme elle décrétait l’an dernier la grève des ouvriers maçons. Le trait distinctif de cette association, c’est d’agir à la façon de tous les pouvoirs absolus, de ne connaître que sa volonté. Croyez-vous qu’avant de jeter dans la rue de malheureux ouvriers qui sont les premiers à souffrir d’une telle crise, elle ait cherché à s’entendre avec les patrons, qu’elle ait daigné écouter ce que les maîtres avaient à dire ? Nullement, elle impose des tarifs, elle impose des conditions sans discuter, sans permettre qu’on discute. Pensez-vous qu’elle ait au moins consulté les ouvriers