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ter. Si un naturaliste, s’étayant du grand nom d’Oken, de ses principes philosophiques et d’un certain nombre de faits incontestables, admettait dans toute son étendue le principe de la répétition des phénomènes, s’il en tirait la conséquence que chaque planète a son Europe avec son Angleterre, et que dans chacune d’elles existe à ce moment un Darwin qui a expliqué l’origine des êtres vivans dans Saturne, dans Jupiter, je ne vois pas trop comment on s’y prendrait pour lui démontrer qu’il se trompe. Incontestablement la chose est possible, en conclurons-nous qu’elle est ?

Je ne puis donc accepter comme exacte la règle que M. Dally semble poser dans l’intéressante Introduction de sa traduction de Huxley. Pour qu’une explication soit valable, pour qu’une théorie puisse être reçue même à titre provisoire, il ne suffit pas qu’elles soient à l’abri de toute réfutation. Agir ainsi serait faire une trop large part à la fantaisie. La science moderne est plus exigeante. Avant tout, comme l’a si bien montré M. Ghevreul, elle en appelle au contrôle de l’observation et de l’expérience ; elle n’accepte comme preuves que des faits bien définis. Sans doute elle n’interdit pas les inductions logiques conduisant l’intelligence quelque peu au-delà des conséquences positives et immédiates des phénomènes constatés ; mais elle refuse aux simples conjectures le droit de se substituer aux faits et de fournir prétexte à des conséquences. À plus forte raison ne saurait-elle attribuer une autorité quelconque à des possibilités. Bien au contraire, lorsque ces possibilités invoquées à titre d’argument en faveur d’une doctrine se trouvent en opposition avec les phénomènes que présente le monde actuel, avec les lois qui le régissent, la vraie science ne voit plus en elles que des objections à opposer à cette doctrine. En agissant ainsi, elle est dans son droit. Tout prouve en effet que les lois générales de notre globe n’ont pas varié depuis les plus anciens jours. Si nous ne les connaissons pas toutes, il en est du moins qui sont définitivement constatées, et nous possédons la notion d’un grand nombre de faits précis. Toute théorie dont les conséquences vont à l’encontre de ces lois, de ces faits, doit donc être jugée inadmissible par le naturaliste, comme toute hypothèse conduisant à des conclusions contraires à une vérité démontrée est déclarée fausse par le mathématicien.

Autant, peut-être plus qu’aucun de ses prédécesseurs, Darwin a eu recours à des argumens de la nature de ceux que je combats d’une manière générale. Avec la conscience qui le caractérise toujours, il a voulu pousser jusqu’au détail l’application de ses idées fondamentales, et a abordé la solution d’une foule de problèmes particuliers. Par cela même, il s’est vu forcé de multiplier les hypothèses secon-