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un personnage portant le titre d’empereur, le daïri ou mikado. Le mikado régnant descendait, par une généalogie bien constatée de plus de vingt siècles, des princes qui avaient conquis le pays sur les races primitives ; mais il y avait déjà longtemps que l’autorité effective était passée en d’autres mains. Les paréos, les fils des daïris, placés à la tête de l’administration des provinces, s’affranchissant peu à peu du pouvoir central, avaient rendu héréditaires dans leurs familles des gouvernemens transformés en possessions territoriales. Ils eurent des armées, bâtirent des forteresses, et, tout en se déclarant les humbles sujets du mikado, descendant des dieux, se livrèrent entre eux ou contre ses lieutenans à des guerres sans fin. Les dix-huit grands daïmios, désignés par la qualification de koksis, que l’on compte aujourd’hui au Japon sont les descendans directs de ces princes ; leur généalogie les classe en cinq groupes issus de mikados qui ont régné dans une antiquité plus ou moins reculée. Pour faire rentrer dans l’obéissance les daïmios insoumis, les mikados entretinrent des armées, à la tête desquelles ils placèrent des généraux de leur choix. Ces généraux ne tardèrent point à diriger les intrigues de la cour de Kioto[1], portèrent leurs familles et leurs partisans aux plus hauts emplois, et se disputèrent avec acharnement la prééminence les armes à la main. C’est ainsi qu’au commencement du XIIe siècle, deux familles puissantes, les Guéngi et les Héké, ensanglantaient le Japon de leurs rivalités. Estomo, le chef des Guéngi, fut vaincu ; sa femme et son fils Yoritomo, faits prisonniers, furent bannis dans la province d’Idsou. C’était alors la dernière qui du côté de l’est fût divisée en territoires et réellement peuplée. Le jeune Guéngi, dès l’âge de quatorze ans, reprit les armes, et une série de guerres heureuses le rendit maître du pouvoir et en quelque sorte souverain de fait : c’est le héros légendaire du Japon. Yoritomo voulut transmettre à ses descendans la grande situation qu’il avait conquise. Il se proclama shiogoun, c’est-à-dire chargé, au nom du mikado, des affaires de l’empire. Il établit sa capitale et une cour brillante à Kamakoura. Dans une vallée à quelques lieues de Yokohama, sur le golfe d’Idsou, l’on voit aujourd’hui, encore de grands temples bien entretenus, seuls vestiges conservés de cette ancienne capitale. Trois fils de Yoritomo régnèrent à Kamakoura. A la mort du troisième, assassiné dans son palais, les dissensions recommencèrent jusqu’à l’élévation du shiogoun Asikaga. Treize princes de la famille de ce dernier lui succédèrent sans interruption. Les shiogouns, qui guerroyaient depuis quatre cents ans pour faire reconnaître leur suprématie sur tout le Japon, n’y étaient point parvenus encore, et la guerre civile venait de se

  1. Kioto (littéralement capitale) ou Miako, nom de la ville où résident les mikados.