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européenne ne devait pas s’arrêter devant cette barrière. Les Américains en 1853, les autres nations maritimes en 1858, vinrent demander et obtinrent sans coup férir l’ouverture du Japon. La crainte inspirée par les forces militaires qui eussent pu appuyer au besoin les demandes de nos diplomates, peut-être même le désir que ressentaient les Japonais de se mettre en communication avec le reste du monde, inspirèrent aux ministres du taïcoun cette sage conduite.

Les rapports avec la cour de Yeddo cependant ne tardèrent point à se compliquer d’incidens imprévus, conséquence des luttes intestines dont notre arrivée avait donné le signal. Une mesure aussi radicale que l’introduction des Européens dans le royaume y jeta la perturbation et fit éclater la guerre civile. A plusieurs reprises, on put craindre qu’il ne devînt nécessaire d’y envoyer des expéditions semblables à celles qui avaient été conduites en Chine. L’effervescence toutefois parut se calmer. Écrivant à cette époque l’historique des relations des étrangers avec le Japon depuis les traités[1], nous pensions que la crise était à peu près passée. Telle était encore notre conviction lorsqu’au commencement de 1868 nous parvint l’avis qu’une révolution avait renversé l’autorité taïcounale, avec laquelle les traités avaient été signés. Cette révolution paraissait remettre tout en question. Un mois plus tard, la nouvelle d’attentats dont avaient été victimes divers étrangers, entré autres l’équipage de l’embarcation d’un de nos vaisseaux de guerre, venait confirmer ces craintes. On s’en émut en France, et plusieurs navires en station dans les mers voisines reçurent l’ordre de rallier, le Japon pour veiller à la sécurité de nos nationaux.

C’est dans ces conditions que nous fûmes appelé à retourner au Japon. Lorsque nous y arrivâmes en juillet 1868, les tristes incidens que nous avons mentionnés avaient été suivis de toutes les réparations désirables, et tout danger de collision semblait évanoui. Nous eûmes alors le loisir d’étudier les circonstances et les faits de cette révolution, dont les phases continuaient encore à se dérouler sous nos yeux, et de coordonner sur l’organisation intérieure du pays les notions que trois années d’une fréquentation intime avec les habitans avaient permis à quelques-uns de nos compatriotes d’acquérir. C’est la série de ces faits et l’ensemble plus complet aujourd’hui de ces notions que nous présentons dans ce travail.


I

Lorsque les Européens abordèrent, vers le milieu du XVIe siècle, à la pointe sud du Japon, la souveraineté nominale appartenait à

  1. Voyez la Revue du 15 mars et du 15 octobre 1865.