Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 80.djvu/676

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

férentes. Dans le travail très important qu’a couronné la Société d’anthropologie, tout en plaçant l’homme au nombre des primates, il n’hésite point à déclarer que les singes les plus inférieurs ont dépassé dans un certain sens le jalon d’où sont sortis en divergeant les différens types de cette famille[1]. « Nous pourrons, ajoute-t-il, trouver quantité de formes intermédiaires entre les singes actuels, nous n’aurons pas pour cela une solution de fait du problème que nous pose la genèse du genre humain… Encore pouvons-nous trouver des types fossiles qui se rapprochent de l’homme plus que nos singes anthropomorphes, tels que le driopithèque décrit et figuré par M. Lartet. Il n’est pas dit pour cela que nous ayons sous les yeux un des jalons historiques du développement humain. »

Vogt croit, il est vrai, trouver dans le cerveau plus ou moins réduit des individus atteints de microcéphalie la reproduction par atavisme d’une disposition qui aurait été normale chez quelques-uns de nos vieux ancêtres. Par là, il fait à notre espèce l’application d’une de ces nombreuses hypothèses de détail imaginées par Darwin, et que j’ai dû négliger, parce qu’elles ne touchent pas au fond même de la doctrine[2]. Il n’en reste pas moins bien clair qu’en rejetant l’origine de l’homme au-delà de l’apparition des singes, en reconnaissant qu’aucun jalon entre ce point de départ indéterminé et l’état actuel n’a encore été découvert, le célèbre professeur de Genève se place en plein inconnu. Nous retrouvons donc ici le résultat inévitable de la doctrine darwinienne, et cela explique sans doute la réserve qu’ont gardée dans cette question spéciale les darwinistes les plus décidés. Ni Lubbock[3] ni Wallace[4] n’ont essayé de montrer cet être mystérieux dont les petits-fils devaient devenir les hommes que nous connaissons. Aucun n’a parlé du singe. Huxley lui-même, que des circonstances particulières et ses

  1. Mémoires sur les microcéphales ou hommes-singes. Vogt a répété cette déclaration au congrès d’anthropologie et d’archéologie préhistoriques, séance du 30 août 1867.
  2. Dans son histoire du paon, Darwin reconnaît que le retour entier par atavisme ne s’est jamais manifesté à la suite du croisement entre espèces ; mais, s’appuyant sur un certain nombre de faits observés chez les races et concluant de celles-ci aux premières, il admet des atavismes partiels. Prenant le genre cheval pour exemple, il explique par son hypothèse d’une origine commune et par cette espèce d’atavisme les zébrures légères qui se montrent parfois chez l’âne, les lignes dorsales de quelques chevaux, etc.
  3. Pre-historic Times.
  4. The origin of human races and the antiquities of man deduced from the theory of natural selection. (The Anthropological Review, may 1864.) — L’éminent émule de Darwin pense que l’homme a vécu sur les terrains éocènes ou miocènes, et que la sélection agissait sur lui à peu près uniquement de manière à perfectionner le cerveau, tandis qu’elle modifiait les formes générales des animaux. Il explique ainsi comment les plus anciens crânes humains rencontrés jusqu’à ce jour ressemblent si fort aux crânes actuels, tandis que les faunes sont fort différentes.