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Metz, à celle des ponts ou des mines, tandis qu’il a lui-même opté pour la marine. Une fois engagés chacun dans leur voie, ils ont beau avancer, ils restent séparés. Le magistrat ne saurait devenir médecin d’un hôpital ; le marin peut passer amiral, il ne sera jamais ingénieur en chef, pas plus que celui-ci ne saurait aspirer aux épaulettes de général, au bâton de maréchal. L’élève de Saint-Cyr et l’officier du génie ou d’artillerie, arrivés au même grade, ont entre eux leur passé, leurs tendances et leurs connaissances spéciales. Toute grossière qu’elle est, cette comparaison donne une idée approximative de la manière dont la doctrine de Darwin explique l’origine, la formation, la séparation des groupes. La nature des carrières correspond à la différence des types organiques.

Or depuis bien longtemps les études de Vicq-d’Azyr, de Lawrence, de Desmoulins, de Serres, confirmées par les travaux plus récens de Duvernoy, d’Owen, de Huxley, de Gratiolet, d’Alix, ont mis hors de doute à la fois l’extrême ressemblance des matériaux anatomiques de l’homme et des singes et la différence des plans réalisés avec ces matériaux. Dans le corps de l’un et des autres, on trouve les mêmes élémens, et on peut suivre la comparaison os par os, muscle par muscle, nerf par nerf ; mais tout est disposé pour faire du premier un marcheur et des seconds autant de grimpeurs. Le gorille et le chimpanzé, ces singes anthropomorphes dont on a tant parlé, sont sans doute supérieurs à leurs frères les cynocéphales et les macaques ; mais, pour s’être perfectionnés à certains égards, ils n’ont pas changé de type fondamental, et ne peuvent avoir précédé dans l’évolution darwinienne un organisme de marcheur. Devinssent-ils les égaux des hommes, ils resteraient des hommes grimpeurs.

Depuis longtemps, j’ai montré que la doctrine de Darwin, logiquement appliquée au type humain, conduit tout au plus à regarder l’homme et les anthropomorphes comme les termes extrêmes de deux séries qui auraient commencé à diverger au plus tard dès l’apparition du singe le plus inférieur. Telle est aussi la conclusion à laquelle sont arrivés les darwinistes sérieux qui s’étaient le plus laissé séduire un moment par la pensée d’une origine simienne. Dans la Leçon où il a traité ce sujet, Filippi semble d’abord croire à cette origine, et pourtant il se rallie en concluant à une autre opinion. « Les singes, dit-il, sont le rameau cadet et nous le rameau principal du tronc généalogique commun[1]. » Ch. Vogt, qui dans ses Leçons sur l’homme avait paru un moment prêt à adopter l’hypothèse de l’origine simienne, est revenu bientôt à des idées toutes dif-

  1. L’uomo e le scimie.