Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 80.djvu/669

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

la forme de la tête se modifiait, des taches d’un blanc jaunâtre apparaissaient ça et là sur le fond uniforme du corps. De pareils phénomènes ne pouvaient échapper au savant qui a fait de la ménagerie des reptiles une des parties les plus intéressantes du Muséum. M. Duméril isola ces individus exceptionnels pour en faciliter l’étude, et les observa jour par jour, heure par heure. Il put ainsi suivre pas à pas les progrès de la transformation, voir disparaître un à un tous les caractères des axolotls, et constater qu’en seize jours ils étaient remplacés par ceux des amblystomes. Il s’assura que les changemens ne portaient pas seulement sur l’extérieur, mais que les modifications atteignaient la disposition des dents, le squelette de la tête et jusqu’aux élémens de la colonne vertébrale.

À quelque point de vue que l’on envisage ce fait, il est très remarquable ; mais il est difficile d’en fixer dès à présent la signification réelle. Tous les batraciens subissent des métamorphoses. À l’état de têtards, tous ont des branchies, et le têtard ou larve de nos tritons reproduit en petit les caractères essentiels de l’axolotl. Les modifications qu’il subit en prenant ses formes définitives rappellent en outre à bien des égards celles que présente celui-ci quand il se change en amblystome. La découverte de M. Duméril peut donc être considérée comme justifiant l’opinion de Cuvier, qui regardait l’axolotl comme la forme larvaire de ce dernier. L’éminent professeur du Muséum, dont le savoir spécial accroît ici l’autorité, semble se décider en faveur de cette interprétation. Pourtant, dans son mémoire le plus étendu et le plus complet, il ne s’exprime qu’avec une certaine réserve, et signale lui-même les particularités qui, même en se plaçant au point de vue de la métamorphose, feraient de celle dont il s’agit un fait très exceptionnel[1].

Les phénomènes du développement des tritons sont parfaitement connus. On sait qu’ils perdent leurs branchies et prennent leurs formes définitives bien avant d’avoir acquis la taille des adultes. Lorsque les têtards sont surpris par l’hiver avant leur transformation, ils restent à l’état de larve jusqu’au printemps. Toutefois ils doivent se transformer et grandir avant de pouvoir se reproduire. Telle est la marche régulière des phénomènes ; mais il peut arriver que l’animal atteigne les dimensions normales et que les deux sexes présentent leurs attributs essentiels sans que les caractères les plus frappans de l’état larvaire se soient effacés. Ce fait très singulier a été constaté par Filippi, un des naturalistes dont l’Italie avait le plus de droit d’être fière. Sur cinquante tritons alpestres péchés par

  1. M. Duméril a fait connaître avec détail ses observations et ses expériences sur les axolotls dans deux mémoires principaux, insérés, l’un dans les Nouvelles Archives du Muséum, t. II, l’autre dans les Annales des Sciences naturelles, 5e série, t. VII.