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quasi chevaleresque de ce penseur qui, dans les plus vifs entraînemens de l’intelligence, conserve assez de calme pour voir ce qui, dans ses propres travaux, milite en faveur de ses adversaires, assez de sincérité pour le leur signaler. Il y a un véritable charme à suivre un pareil esprit jusque dans ses écarts, et l’on sort de cette étude avec un redoublement de haute estime pour le savant, d’affectueuse sympathie pour l’homme.


II

En réalité, le transformisme n’a mérité d’être considéré comme une doctrine que grâce aux hommes qui ont pris la transformation lente pour base de leurs conceptions. Chez eux seulement, nous trouvons un corps d’idées coordonnées, embrassant l’ensemble des phénomènes et s’efforçant d’en rendre compte par l’application logique de principes fondés eux-mêmes sur l’observation. Les naturalistes qui, pour expliquer l’origine des espèces éteintes ou vivantes, ont eu recours à l’hypothèse d’une transformation brusque, ceux qui admettent le passage immédiat d’une espèce ou d’un type à l’autre, ne présentent rien de pareil. Ils se bornent assez souvent à indiquer d’une manière générale la possibilité que les choses se soient passées ainsi. Tout au plus invoquent-ils à l’appui de leur manière de voir quelques analogies empruntées d’ordinaire à l’histoire du développement individuel. La plupart ne nous disent rien de la cause prochaine qui produit la transmutation, et jamais leurs explications sur ce sujet, ne vont au-delà de l’accident. Geoffroy Saint-Hilaire lui-même, dans le mémoire consacré à l’exposition doctrinale de ses idées, est très explicite sur ce point[1]. Après avoir montré par des exemples comment le milieu peut modifier les caractères morphologiques et physiologiques, il prend, comme nous l’avons déjà dit, pour exemple la transformation d’un reptile et ajoute : « Ce n’est évidemment point par un changement insensible que les types inférieurs des vertébrés ovipares ont donné le degré supérieur d’organisation ou le groupe des oiseaux. Il a suffi d’un accident possible et peu considérable dans sa production originelle, mais d’une importance incalculable quant à ses effets (accident survenu à l’un des reptiles qu’il ne m’appartient point d’essayer même de caractériser), pour développer en toutes les parties du corps les conditions du type ornithologique. » La manière dont Owen comprend la dérivation s’effectuant en vertu d’une ten-

  1. Sur le degré d’influence du monde ambiant pour modifier les formes animales. (Mémoires de l’Académie des Sciences, t. XII.) Ce mémoire est le quatrième rédigé par Geoffroy à l’occasion de ses recherches sur les reptiles fossiles du calcaire de Caen.