Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 80.djvu/659

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

féconds entre toutes les races qui se produisent sous l’action de l’homme[1]. Il serait facile de montrer par de nombreux exemples tirés de l’ouvrage même du savant anglais combien l’action de la domesticité diffère selon les espèces. S’il en est qui se reproduisent aisément en captivité, s’il en est dont la fécondité s’est accrue, il en est d’autres qui, hors de l’état sauvage, deviennent entièrement infécondes, quoique jouissant d’une santé parfaite, quoique entièrement acclimatées sous tous les autres rapports à ce nouveau milieu. Il suffit de citer l’éléphant, que les Indiens ont su soumettre depuis les temps historiques, qui se plie si vite et si complètement à tout ce qu’on lui demande, qui vit plus d’un siècle en captivité. Évidemment il est placé exactement dans les conditions de nos animaux domestiques proprement dits[2]. Or, dans l’Inde, il ne se reproduit à peu près jamais chez son maître, bien que souvent les instincts naturels semblent parler haut dans les deux sexes, au point qu’on est alors forcé de prendre des précautions spéciales[3]. On voit combien peu la règle de Pallas est applicable à l’éléphant.

En tout cas, il ne peut être question de cette règle quand il s’agit des plantes ou des animaux sur qui l’homme n’a jamais mis la main. Quelle est donc la cause qui chez eux vient mettre un terme à la fécondité entre races et isoler physiologiquement une espèce ? Voici la réponse bien instructive qu’après un minutieux examen Darwin fait à cette question fondamentale. « Les espèces, dit-il, ne devant pas leur stérilité mutuelle à l’action accumulatrice de la sélection naturelle, et un grand nombre de considérations nous montrait qu’elles ne la doivent pas davantage à un acte de création, nous devons admettre qu’elle a dû naître incidemment pendant leur lente formation et se trouver liée à quelques modifications inconnues de leur organisation. » Ai-je besoin d’insister sur la portée de ces paroles ? Nous avons déjà vu l’accident invoqué comme ayant donné naissance aux caractères de supériorité qui seuls ont le pouvoir de mettre en jeu la sélection et d’enfanter des races ; nous le retrouvons comme pouvant seul isoler celles-ci et parachever les espèces. L’accident, l’inconnu, tel est donc le principe et la fin de la formation de toute espèce nouvelle ; la sélection n’y est pour rien ; elle ne peut que façonner des races. Voilà en réa-

  1. Pallas croyait à la multiplicité des origines pour les races domestiques, et c’est pour lever la difficulté résultant de la fécondité des races les plus différentes qu’il avait imaginé cette hypothèse.
  2. Isidore Geoffroy a très justement distingué les animaux simplement apprivoisés des animaux domestiqués. Les premiers, quoique parfaitement soumis à leur maître, ne se propagent guère en captivité. L’éléphant peut en être regardé comme le type.
  3. Crawfurd, cité par Darwin, assure qu’à l’est d’Ava l’espèce se propage en captivité.