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sité ou bien être à peine assez accentuées pour se distinguer des traits individuels. Dans le premier cas, si elles se propagent par la génération, elles constituent d’emblée une race, et parfois une de celles qui s’éloignent le plus du type spécifique. De pareilles variations se sont produites peut-être même en dehors de l’action de l’homme. Telle pourrait bien être l’origine de la race de bœufs gnatos, littéralement bœufs camards, et qu’on aurait pu nommer à juste titre bœufs-dogues, car ils présentent dans leur espèce les traits caractéristiques de ce chien. Cette race paraît s’être formée parmi les troupeaux à demi sauvages des Indiens du sud de la Plata. Elle a la taille moins élevée, les formes plus trapues que les autres races du pays. La tête, le museau surtout, sont considérablement raccourcis, la mâchoire inférieure dépasse la supérieure, et la lèvre fortement relevée laisse les dents à nu. À ces caractères extérieurs correspond une charpente osseuse qu’Owen a fait connaître[1], et dont on peut résumer les caractères en disant que, dans la tête du gnato, presque pas un os ne ressemble à l’os correspondant du bœuf ordinaire. Il est assez difficile de croire que personne ait jamais eu intérêt à conserver et à multiplier cette forme semi-monstrueuse de bœuf qu’on s’est mis à détruire dans le bassin de la Plata dès que l’on a donné des soins plus réguliers à l’élevage du bétail. Les gnatos se sont donc probablement développés tout à fait spontanément.

Il n’en est pas ainsi de l’ancon ou mouton-loutre. Celui-ci provient d’un bélier né en 1791 dans la ferme de Seth-Wright (Massachusetts). Cet animal possédait les proportions bien connues du chien basset. La brièveté de ses membres, l’empêchant de franchir les clôtures, présentait un avantage. On l’employa comme reproducteur, et quelques années après ses descendans formaient une race parfaitement assise[2]. Ici l’homme est intervenu et a employé la sélection. Il a agi de même pour les moutons mauchamp, que M. Graux a obtenus d’un bélier né en 1828 au milieu d’un troupeau de mérinos ordinaires avec une toison soyeuse au lieu de laine proprement dite. Aujourd’hui non-seulement cette race est entièrement constituée ; mais de plus elle a donné naissance à des sous-races déjà distinctes. Si Mme  Passy avait conservé et élevé ses poulets couverts d’un duvet « si épais et si doux qu’il ressemblait au poil d’un chat » et se laissait peigner avec un peigne fin, nous aurions certainement une race galline de plus, extrêmement curieuse et dont nous connaîtrions exactement la date de naissance[3]. De

  1. Catalogue descriptif de la collection ostéologique du collège des chirurgiens.
  2. Prichard, Histoire naturelle de l’homme, t. Ier.
  3. C’est en 1852, dans ses couvées d’arrière-saison, que Mme  Passy vit apparaître un assez grand nombre d’individus présentant ce singulier caractère. Malheureusement