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évêques nommés par lui aux sièges vacans de l’empire, il entendait quand il en aurait ainsi tiré l’avantage qui lui importait le plus, ne pas le laisser reconnaître dans sa teneur actuelle par son conseil d’état ; c’était son intention bien arrêtée de se conduire en tout comme si rien de sérieux ne s’était passé à Savone. Une pensée de sympathie et de pitié, si fugitive qu’elle fût, traversa-t-elle un instant l’esprit de Napoléon, en songeant à la condition du pontife dont il venait de recevoir une lettre si affectueuse, et qui, après avoir généreusement concédé tout ce qu’on lui avait demandé, n’en allait pas moins continuer à végéter tristement dans la solitude de son étroite prison de Savone ? Nous ne le croyons point. En tout cas, nulle trace de ce sentiment ne se découvre dans toute la correspondance de l’empereur. Ce qu’on y aperçoit au contraire avec surprise, c’est l’expression d’une joie non dissimulée à l’idée que, si les choses sont convenablement conduites, il arrivera, somme toute, que le pape, après la signature de son bref, se trouvera réduit à une condition bien pire qu’auparavant. Nous n’inventons rien. Cette attitude de l’empereur est si étrange et si triste à noter que nous comprenons plus que jamais la nécessité d’appuyer notre récit sur les preuves les plus irrécusables. Nous les emprunterons aux aveux sortis de sa bouche et consignés dans sa correspondance officiellement publiée, ou dans d’autres lettres qui, pour n’avoir pas trouvé place dans la collection sortie des presses de l’imprimerie impériale, n’en sont pas moins d’une indiscutable authenticité[1].

La première des communications, que le ministre des cultes reçut de Napoléon au sujet du bref pontifical, lui parvint par l’intermédiaire de M. Daru. Cet intègre et judicieux serviteur, que le chef de l’empire avait emmené en Hollande afin de se rendre un compte exact des ressources militaires de ce pays, remplissait près de lui pendant cette excursion les fonctions de secrétaire d’état[2]. « Sa majesté me donne l’ordre d’annoncer à votre excellence, écrit M. Daru, qu’elle reçoit le bref du pape, mais sans traduction. Elle m’a chargé de la lui faire. Elle ne peut pas résoudre une affaire de cette importance sans avoir entendu son conseil. C’est donc une affaire qui durera encore quelque temps, et cependant nous voilà au 1er octobre… Sa majesté, considérant la saison avancée et l’âge des

  1. Depuis que ce travail est commencé, nous avons déjà été dans le cas de produire un certain nombre de lettres de l’empereur qui n’ont pas été insérées à leur date dans la publication officielle. Pourquoi ces lettres, dont quelques-unes ne sont pas sans importance, ont-elles été omises dans un recueil qui a été donné au public comme contenant tous les documens qu’il avait intérêt à connaître ? Il est impossible de le deviner.
  2. M. le comte Daru à M. le comte Bigot de Préameneu, 28 septembre 1811. — La lettre commence par ces mots : « Monsieur le comte, j’ai l’honneur d’adresser à votre excellence une lettre que sa majesté vient de me dicter. »