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Rome ? Rien, ou presque rien, et l’église, comme elle avait fait tant de fois, reconnaîtrait la puissance de césar[1]. » La remarque de M. Thiers est vraie jusqu’à la dernière rigueur, et notre tâche principale va justement consister à établir, par des détails circonstanciés qui ne pouvaient trouver place dans le dessin général de ce grand monument historique, la parfaite justesse de cette appréciation.

Napoléon était parti de Compiègne le 18 septembre pour visiter le nord de la France, les ports de la Hollande et préparer dans ces dernières contrées, récemment réunies à l’empire, ses futurs moyens d’attaque contre la Russie, quand lui arriva tout à coup la nouvelle de l’accord conclu à Savone avec le saint-père. Son éloignement entraînait un retard forcé dans la réponse qu’attendaient avec tant d’impatience M. de Barral et ses collègues. En apprenant que ses lettres avaient dû aller chercher l’empereur jusque sur les bords du Zuiderzée, l’archevêque de Tours, tout d’abord consterné, ne put se défendre d’un amer pressentiment. « Le départ de l’empereur ne nous a pas seulement surpris, mais stupéfiés, écrit-il à M. Bigot de Préameneu. Au moment précis où notre correspondance allait prendre une lueur d’intérêt, et lorsque nous espérions quelque réponse favorable, la gazette arrive, et annonce que de longtemps nous ne pourrons recevoir aucun ordre de sa majesté. Or, quand elle est absente, son ministre se tait ; c’est la règle. De sorte que nous voilà condamnés à l’inaction et presque au silence[2]. »

Napoléon avait reçu à Flessingue le bref et la lettre du saint-père. Le bref ne le satisfaisait point, ou du moins il était bien décidé à n’en paraître point satisfait. Quant à la lettre, comme il ne lui semblait pas convenable de rendre au pape des injures en retour de ses témoignages d’affection, il avait résolu de n’y pas répondre et de la considérer comme non avenue. Cette idée de mettre le pape en liberté, dont ses négociateurs avaient eu l’imprudence de lui parler, comme de la meilleure récompense qu’ils pouvaient recevoir pour les services qu’ils se figuraient avoir rendus, c’était pure folie ; il ne pouvait en être question. Donner le moindre témoignage de satisfaction aux dignitaires de l’église qu’il avait expédiés à Savone pour y défendre ses intérêts de souverain, l’empereur n’y songea pas davantage. C’eût été convenir qu’il se félicitait de l’arrangement qu’ils venaient de conclure avec Pie VII. Il s’en garderait bien, car, s’il entrait dans ses desseins de se servir du bref du pape pour faire immédiatement donner l’institution canonique aux

  1. M. Thiers, l’Histoire du Consulat et de l’Empire, t. XIII, p. 178.
  2. Lettre de M. de Barral à M. Bigot de Préameneu, ministre des cultes, 30 septembre 1811.