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conversation est insensiblement tombée sur le sujet du concile. Il m’a demandé si j’en savais quelque chose. Je lui ai dit que ses décisions paraîtraient toutes à la fois, que jusque-là le public ne devait pas, ce me semble, s’en occuper, et que rien ne paraissait d’ailleurs dans les journaux. J’ai ajouté que le discours de sa majesté à l’ouverture du corps législatif avait ouvert une voie dont je serais bien étonné que le saint-siège ne profitât pas un peu plus tôt ou un peu plus tard, qu’il était évidemment convenable que le chef de l’église fût placé près du centre des affaires de la chrétienté, et que ce n’était nullement un exemple inouï, puisque Rome avait été préférée au séjour de la terre-sainte dès l’origine de la foi[1]. » Ces objurgations de M. de Chabrol n’avaient pas obtenu grand succès auprès du saint-père ; il y avait répliqué par l’apparition de Jésus-Christ à saint Pierre sur la voie Tiburtine, répondant à son disciple qui lui demandait : « Seigneur, où allez-vous ? — — Je vais à Rome, pour y être crucifié de nouveau. » — « Ne pouvant soutenir plus longtemps, continue M. de Chabrol, des idées aussi extraordinaires, j’ai dit qu’il fallait laisser les croisades et les chroniques apocryphes du XIIIe siècle pour s’en tenir à des choses plus réelles et plus adaptées à notre temps. » Partant de cette donnée, M. de Chabrol s’était efforcé de faire sentir au pape « quel avantage ce serait pour la religion catholique, et pour son chef quel mérite et quelle gloire de veiller à Paris aux intérêts de la religion pendant que le second Charlemagne veillerait de son côté aux intérêts de l’empire en le secondant. Ne serait-ce pas là un des moyens que de toute éternité la Providence avait choisis pour établir l’église universelle et faire partout triompher la foi ?… Comment, au milieu des circonstances extraordinaires dont elle était environnée, sa sainteté ne comprenait-elle pas qu’elle était comme appelée d’en haut pour remplir un rôle si magnifique ? » Pie VII, demeurant toujours froid, se contenta de répondre « que, si cela était, il sentirait certainement une vocation, mais qu’il n’apercevait rien de semblable. Qui pourrait dire si ce n’était pas lui, M. de Chabrol, qui se trompait ? car, tout bien considéré, peut-être y avait-il de l’avantage pour la religion dans la contrainte et la persécution. Il y avait alors moins de chrétiens à la vérité ; mais ils étaient meilleurs et plus zélés. » Entendant le saint-père émettre de si singulières maximes, le préfet de Montenotte avait grand’peine à s’empêcher de le considérer comme un petit esprit, véritablement incapable de s’élever jusqu’à la hauteur des vues sublimes de l’empereur. « J’ai quitté le pape, dit-il en terminant sa lettre, bien surpris de voir dans quel ordre de faits et d’idées il va

  1. Lettre de M. de Chabrol à M. Bigot, ministre des cultes, 15 juillet 1811.