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détenus dans d’obscurs chefs-lieux de département sous la sévère surveillance de la police française, cela était peut-être bien dangereux. Il était à craindre que ces compatriotes de Pie VII, qui avaient souffert pour sa cause, qui avaient montré tant de zèle pour ses droits, tant de dévoûment pour sa personne, ne l’encourageassent à prolonger une résistance à laquelle il n’était déjà que trop disposé. D’un autre côté, on ne pouvait décemment lui offrir de s’en rapporter pour toute ressource aux avis des cardinaux français, si directement placés sous l’influence du gouvernement impérial.

Une sorte de moyen terme se présenta naturellement à l’esprit de l’empereur. Il résolut de s’adresser à ceux des cardinaux italiens qu’il avait trouvés de plus facile composition dans l’affaire de son mariage avec l’archiduchesse Marie-Louise. Ils végétaient alors assez tristement à Paris, peu recherchés de la belle société, isolés même dans les salons officiels, qu’ils fréquentaient uniquement, et regrettant de toute leur âme les funestes divisions qui s’étaient élevées entre l’empire et le saint-siège. Ces différends avaient dérangé les plus chères habitudes d’une vie devenue pour eux presque insupportable depuis le jour où ils avaient été violemment transportés loin des murs de la paisible cité pontificale. C’étaient là pour l’empereur de précieux auxiliaires. Décidé à se servir de leur influence personnelle pour agir sur les résolutions du saint-père, Napoléon n’avait pas toutefois en eux une entière confiance. Il ne pouvait oublier que les prélats naguère députés auprès de Pie VII à Savone s’étaient laissé attendrir, et que la plupart avaient fini par se ranger presque du parti de la victime contre son persécuteur. Il y avait donc des précautions à prendre, et, pour avoir l’esprit complètement en repos, il serait opportun de mettre quelques conditions préalables au départ des conseillers officieux qui étaient censés prêter le secours de leurs lumières à la conscience troublée du souverain pontife. Les conditions dont s’avisa l’empereur furent si étranges que, si elles n’étaient pas consignées tout au long dans des pièces malheureusement irrécusables, nous n’aurions jamais cru qu’il eût été possible à un chef d’état de les imaginer et à des cardinaux d’y souscrire. Ce fut le ministre des cultes, M. Bigot de Préameneu, qui, en vertu des instructions détaillées qu’il avait reçues de son maître, fut chargé de mener la négociation. Son succès fut complet. Il eut l’habileté de se faire demander par écrit et comme une grâce très particulière par les membres du sacré-collège sur lesquels était tombé le choix de Napoléon la permission de se rendre personnellement près de Pie VII, afin de s’employer au rapprochement si désirable du saint-siège et de l’état[1].

  1. « Sire, j’ai l’honneur de mettre sous les yeux de votre majesté les lettres qui viennent de m’être adressées par les cardinaux Ruffo, Dugnami, Roverella et de Bayanne, par lesquelles ils font la demande de se rendre à Savone, en m’exprimant qu’il est dans leur sentiment que le pape doit approuver le décret rendu par le concile. Le cardinal, de Bayanne m’a dit confidentiellement qu’il ne croyait pas le cardinal della Porta propre à cette affaire. Il me l’a peint comme un homme tellement borné qu’il serait même très difficile de lui faire entendre de quoi il s’agit, et, s’il a d’ailleurs, comme on doit le présumer, des préjugés, il pourrait nuire plutôt que servir à l’intérêt de l’église et du pape… » — M. Bigot de Préameneu à l’empereur, 7 août 1811.