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au consul anglais une preuve manifeste du bon vouloir et de la puissance de l’Angleterre. L’incident est curieux. Écoutons le récit du docteur.


« Avant de me donner congé, le prince me chargea de présenter ses remercîmens au consul anglais pour le vif intérêt qu’il lui témoignait, à lui et à la nation serbe, surtout pour les avis qu’il lui avait donnés. Il ajouta que son désir était de les suivre en tout point et de se mettre aussitôt à préparer une constitution conforme aux besoins du pays. Il le priait enfin d’interposer ses bons offices auprès d’Éphrem, qui était toujours en quarantaine à Semlin, lui donnant pleins pouvoirs de ménager une réconciliation durable avec lui, de lui promettre un complet oubli du passé et le redressement de tous ses griefs. Il me fit à moi la même recommandation. J’étais chargé en outre de dire au hospodar que, s’il persistait dans ses desseins, Milosch aussi saurait oublier qu’Éphrem était son frère ; mais surtout il me recommanda de cultiver l’amitié du colonel Hodges. « Je suis, disait-il, intimement convaincu des bonnes dispositions de l’Angleterre, et d’autant plus disposé à suivre ses conseils qu’ils n’ont d’autre but que le maintien de l’empire ottoman, auquel sont attachées les destinées de ma patrie, les miennes propres, celles de toute ma famille. »

« Milosch en effet savait très bien quelles étaient les vues de la Russie dans la question d’Orient. Il savait que, ces vues une fois réalisées, la Serbie perdrait à jamais sa nationalité distincte, par conséquent l’indépendance presque complète dont elle jouissait maintenant, et que lui ou son successeur, quel qu’il fût, irait sans doute finir ses jours dans une forteresse ; mais ces considérations, si puissantes qu’elles fussent, étaient de nulle valeur aux yeux de la nation serbe presque tout entière. Les Serbes croyaient encore que la seule identité de religion et de langage, ainsi qu’un sentiment d’humanité, avait porté la Russie à se mêler des affaires serbes, et qu’ils retomberaient bientôt sous le joug des Turcs, si elle leur retirait sa protection. Ignorant la puissance morale de la politique et de la diplomatie, les Serbes ne croyaient qu’à la force des armes, et malheureusement l’Angleterre et la France étaient trop éloignées de leur pays pour que cette force pût frapper leurs regards.

« Cette opinion de presque tous les notables serbes, me disait Milosch, obligera toujours le kniaze à rester sous la tutelle des Russes, quelle que soit la condition qu’il leur plaira de lui faire, à moins que l’Angleterre ou une des grandes puissances intéressées à la conservation de l’empire ottoman ne parvienne à leur prouver, par quelque fait palpable, pour ainsi dire, qu’elles sont en état de les protéger aussi efficacement que la Russie. C’était, selon lui, le seul moyen de le délivrer des entraves que l’opinion publique, les préjugés et l’inexpérience politique des notables