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hypocritement pour la nation, voulut du moins suppléer au nombre des signatures par l’importance des signataires. Ils entraînèrent même le frère du prince, le faible et ambitieux Éphrem, faisant briller à ses regards la principauté de Serbie. Milosch détrôné, c’était lui que la nation choisirait. Il avait le prestige du nom ; il sauverait la dynastie des Obrenovitch, que Milosch perdait par ses violences. Enivré de ces belles promesses, Éphrem était devenu un des chefs de la conspiration, un des instrumens du consul d’Orsova. Le consul anglais, qui voyait grandir le danger, souffrait du peu de confiance que lui témoignait Milosch ; il tenta de nouveaux efforts pour vaincre sa répugnance, et grâce au médecin du prince, M. le docteur Cunibert, il parvint à se faire écouter. M. Cunibert était un médecin piémontais très attaché au prince, à sa famille, et jusque-là très en dehors des affaires politiques, mais qui, dans une telle crise, considéra comme un devoir de prendre un rôle actif. Il devint l’intermédiaire du colonel Hodges et du chef des Serbes. Les conjurés venaient de rédiger un réquisitoire violent contre l’administration de Milosch ; le colonel Hodges fît proposer au prince de proclamer immédiatement une déclaration de droits très brève, très nette, qui couperait court à toutes les clameurs, puis de formuler une charte qui sanctionnerait le droit du peuple par le maintien des skouptchinas, et le droit des classes supérieures par l’établissement d’un sénat. La constitution de 1835, sans avoir été formellement abrogée, n’existait plus. Personne n’en voulait ; était-ce une raison pour prolonger cet interrègne des lois fondamentales ? « Le temps presse, disait le consul, la conspiration se développe, des événemens graves se préparent ; suivez nos conseils et appuyez-vous sur l’Angleterre. Si vous ne prenez les devans, si vous ne créez vous-même un sénat dont les droits ne détruiront pas vos prérogatives, le sénat que vos ennemis s’apprêtent à vous imposer sera le maître de la situation. C’est votre ruine inévitable. » On a vu par la suite combien ces exhortations étaient justes. Le colonel Hodges connaissait parfaitement l’état de la Serbie et le plan de cette conspiration permanente organisée à Orsova. Milosch pourtant, quoique très disposée croire le consul anglais, hésitait encore. Tous ses conseillers, excepté le docteur Cunibert, se défiaient de l’Europe occidentale. On lui disait que le sentiment public serait froissé par ce changement d’alliance, qu’il fallait se dégager des intrigues de la Russie sans rompre avec elle, que le lien religieux, que les affinités de race, ne permettaient pas aux Serbes d’abandonner un protecteur comme le tsar pour se jeter entre les bras d’une nation si différente. Milosch envoya le docteur Cunibert à Belgrade, où résidait le colonel Hodges. Habile à profiter de toutes les circonstances qui pouvaient servir son pays, il faisait demander