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projet de constitution, projet habilement conçu pour détruire l’autorité du prince, entretenir l’anarchie, rendre la Russie indispensable aux Serbes, et, comme Milosch repousse un tel présent, le tsar le punit de cette « insolente opiniâtreté, » — telles sont ses expressions mêmes, — en rapprochant de la frontière serbe les batteries dressées contre son gouvernement. Ce n’est plus à Bucharest, c’est à Orsova, par conséquent à quelques lieues de la Serbie, à une petite distance des conspirateurs et des traîtres, que le consul russe, M. Vaschenko, établit son quartier-général.

La menace était significative. L’Angleterre et la France, toujours attentives aux menées de la Russie en Orient, comprirent qu’il était temps d’agir. Tandis que la légation française à Constantinople soutenait le dictateur contre l’oligarchie des conjurés de 1835, derrière lesquels on voyait aisément l’influence russe, le cabinet de Londres prit une mesure hardie : il accrédita un consul auprès de Milosch. Le consul autrichien n’avait présenté ses lettres de créance qu’à la Porte ottomane ; le consul anglais présenta les siennes au prince des Serbes. C’était reconnaître hautement l’indépendance de la Serbie, c’était proclamer le droit que possédait son chef de négocier avec les puissances étrangères. Les Turcs, il est vrai, pouvaient s’en offusquer ; il est clair toutefois que cette résolution était beaucoup plus hostile au cabinet de Saint-Pétersbourg qu’au divan de Constantinople. Comme l’Autriche, l’Angleterre voulait empêcher la Russie de prendre en main la direction des affaires serbes ; mais elle le faisait avec bien autrement de logique et de vigueur.

Le consul anglais accrédité auprès de Milosch était le colonel George Hodges, qui s’était distingué en Portugal à la tête de la légion anglaise au service de dom Pedro. Milosch lui fit l’accueil le plus empressé ; il hésita pourtant à nouer avec lui des rapports politiques. N’était-ce pas rompre ouvertement avec les Russes, changer de protectorat, courir les aventures ? La Russie était si près, l’Angleterre si loin ! Il évitait donc de voir trop souvent le colonel, et, tout en accordant à l’homme les témoignages d’une vive sympathie, il tenait le diplomate à distance. Pendant ce temps-là, les intrigues s’agitaient de plus belle. Le consulat russe d’Orsova provoquait les plaintes et les calomnies des mécontens. Il y avait dans ses bureaux un acte d’accusation toujours ouvert où les conspirateurs de 1835 venaient accumuler leurs griefs. Pendant l’été de 1837, Simitch et Protitch allèrent trouver le tsar Nicolas, qui était alors au camp de Vosnessenk, et le supplièrent de mettre fin à l’insupportable tyrannie de Milosch ; le tsar répondit qu’il accueillerait volontiers leur requête, si elle portait un certain nombre de signatures. C’était là le difficile ; les conspirateurs étaient plus ardens que nombreux. Cette oligarchie passionnée, qui se donnait