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finances de nous présenter, à moi, au conseil d’état et à l’assemblée nationale, le compte exact des recettes et des dépenses.

« Afin que cette modique somme de trois écus par semestre soit répartie le plus équitablement possible, et que tous soient contens, les pauvres comme les riches, je vous soumets ici le tableau des hommes mariés et des célibataires, avec l’indication de leur avoir. D’ailleurs chacun des kmètes sait combien chacun de ses frères avait à payer de dîme. L’impôt sera réparti d’après ces tableaux ; ce soin ne regarde pas mon gouvernement, c’est l’affaire des anciens dans chaque communauté. Les kmètes prendront connaissance des tableaux, compareront la dîme de chacun, et, se concertant avec les capitaines et les juges, imposeront chaque frère d’après sa fortune, afin que les pauvres ne puissent se plaindre d’être injustement traités, et ne viennent pas m’accabler de leurs doléances.

« Je vous soumets tous ces détails, mes frères et messieurs, et je souhaite connaître votre opinion… Quand vous aurez prêté serment aux statuts, choisissez parmi vous les frères les plus capables et laissez-leur une procuration comme à vos représentans, afin que moi et le conseil d’état nous prenions avec eux les mesures ultérieures… Une si grande foule de monde ne peut s’assembler chaque année sans des dépenses considérables ; mais des députés tels que je les propose existent dans tous les états représentatifs, et ils nous sont nécessaires. »


Après ce discours du prince, la séance fut levée au milieu des cris d’enthousiasme. Le lendemain, même empressement et même cérémonial. Milosch, accompagné de sa famille, du haut clergé, des dignitaires de l’état, présidait l’assemblée des Serbes dans la vaste prairie. C’était le jour fixé pour la lecture de la charte constitutionnelle. La lecture terminée, l’archevêque lut immédiatement la formule du serment que tous devaient prêter. Milosch jura le premier en répétant mot à mot la formule, puis tous les membres de la skouptchina s’écrièrent d’une seule voix : « Au nom de la très sainte Trinité, nous le jurons. »

Cette séance fut marquée par un incident significatif. Plusieurs des knèzes restés fidèles à Milosch dans la conspiration récente, et qui avaient contribué à le sauver, s’irritaient de voir que les Simitch, les Petronievitch, étaient maintenus dans les fonctions supérieures. « A quoi sert le dévoûment, disaient-ils, si les récompenses sont pour les traîtres ? » Quand ils aperçurent Stoïan Simitch dans la loge du prince, leur colère s’accrut encore. Ils se réunirent, rassemblèrent les principaux kmètes de leurs districts, et allèrent se placer en face de Milosch, épiant le moment de l’interpeller. Le groupe était nombreux, menaçant ; le témoin qui nous raconte la scène déclare que tout d’abord, ne se rendant pas compte de ce