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d’acclamations, Davidovitch crut pouvoir conseiller aux chefs de congédier leurs troupes ; il leur promettait à ce prix le pardon et l’oubli du passé. Les insurgés s’y refusèrent, on devait le prévoir ; ils ne voulaient pas se séparer de leurs troupes tant qu’ils n’auraient pas de ces promesses une garantie assurée. Bien plus, ils demandaient que la skouptchina fût convoquée immédiatement ; mais ils n’étaient plus de force à dicter des conditions. En même temps que leurs milices devenaient chaque jour moins sûres, se plaignant d’avoir été trompées, on voyait arriver les milices de Milosch, et, si l’insurrection eût relevé la tête, elle eût été infailliblement écrasée. Kragoujevatz ne courait plus aucun péril. Un nouveau chef, Pierre Tuzzakovitch, avait pris la place de Voutchilch, qui était allé à Poscharévatz expliquer sa conduite au prince et obtenir son pardon. Milosch accepta les excuses de Voutchitch ; quant aux chefs rebelles, ils furent informés que tout serait oublié, s’ils déposaient les armes à la première sommation. Aussitôt les milices de Simitch et de Petronievitch commencèrent à se débander ; sans bruit, sans désordre, du soir au matin, des groupes furtifs s’éloignèrent dans toutes les directions. Au lever du jour, l’armée de l’insurrection s’était évanouie.

Tout cela s’était passé dans les premiers jours du mois de janvier 1835 ; dès le 12, Milosch rentrait à Kragoujevatz au son des cloches lancées à pleine volée et au milieu des salves d’artillerie. La foule poussait des acclamations ; ce n’était pas le despote de la veille qu’on saluait ainsi, c’était l’ancien Milosch réconcilié avec son peuple, Milosch averti par de rudes épreuves et qui promettait de gouverner sagement. Quand il descendit de cheval, les chefs des conjurés, qui s’étaient tenus timidement à l’écart, se jetèrent à ses pieds et lui demandèrent pardon. Milosch les releva, les embrassa, les larmes aux yeux, et leur dit avec une simplicité touchante : « Nous avons tous des torts. Moi aussi j’ai commis bien des fautes. Tâchons de les réparer et pardonnons-nous mutuellement. » Dans la journée, il fit venir auprès de lui les trois chefs principaux, Stoïan Simitch, Abraham Petronievitch, Miléta Radoïevitch, et leur parla comme un père à ses enfans. « Je n’ai jamais méprisé les bons conseils. Au lieu de se livrer contre moi à des démonstrations hostiles, ceux qui n’ont en vue que le bien public auraient dû m’avertir, me montrer en quoi j’avais failli ; combattre par système et par orgueil celui que les événemens ont fait chef de la Serbie, ce ne serait pas être ami de la cause serbe. » Puis il les invita à venir à l’église et jura sur l’Évangile qu’il leur avait pardonné.

Était-il sincère ? Ses ennemis soutiennent encore qu’il savait joindre au prestige du génie une dissimulation diabolique ; mais comment ne pas croire à sa sincérité quand on voit sa clémence si parfaitement d’accord avec ses intérêts ? Il avait reçu un terrible