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ministre de la guerre, qui commandait les troupes de Kragoujevatz, persuadé que Lioubitza elle-même, pendant son séjour auprès de Stoïan Simitch, s’était mise d’accord avec les conjurés, effrayé de voir la Serbie entière se dresser contre lui, il se sentit seul, impuissant, condamné ; il voulut fuir. Il partit en effet, résolu à quitter la Serbie ; il partit sans avoir même une explication avec la compagne de ses jours héroïques, sans prendre congé d’elle, sans dire adieu à ses enfans. Il fallut qu’un des hommes de son escorte, le serdar Kotza, à force d’instances, de supplications, de reproches, au nom de sa gloire, au nom du peuple serbe, l’arrêtât presque malgré lui dans sa fuite, et le ramenât à Poscharevatz.

Une fois revenu, il se releva. Ce fut le Milosch des grandes luttes. Kotza lui avait dit qu’on le trompait, que c’était là un mouvement partiel, qu’il était cher au peuple serbe, que parmi les insurgés eux-mêmes beaucoup reviendraient à lui au premier signal ; il reprit donc le commandement, et bientôt les milices des environs se levaient pour le défendre. C’était le moment où les insurgés, réunis aux portes de Kragoujevatz, délibéraient sur la conduite à tenir. Fallait-il s’emparer de la ville ? fallait-il envoyer des sicaires à Poscharevatz et faire assassiner le tyran ? Les plus furieux, Simitch entre autres, appuyaient ce dernier parti ; Miléta fit triompher encore une fois les conseils de la modération. Entrer dans la ville avec la permission de ceux qui la défendaient, former une sorte de skouptchina tout ensemble armée et pacifique, adresser au prince les remontrances unanimes du pays, l’obliger enfin à donner une constitution, tel était le programme. Voutchitch, nous l’avons dit, commandait les troupes de Milosch à Kragoujevatz ; bien que suspect au prince et secrètement attiré vers les conjurés, il sut très bien ce jour-là concilier tous ses devoirs. Il prévint une collision entre les deux armées, les insurgés purent entrer dans Kragoujevatz, à la condition d’occuper une partie de la ville et de n’avoir aucune communication avec les troupes de Voutchitch. Il arrêta ainsi l’insurrection en lui conservant, selon le vœu de Miléta, une sorte de caractère régulier. On avait évité la guerre civile ; c’était maintenant au prince à s’entendre avec la nation.

Les chefs rebelles, un peu embarrassés de leur victoire, étaient encore occupés à délibérer tumultueusement, quand Davidovitch, le secrétaire du prince, arrivé à Kragoujevatz et introduit dans le conseil, leur demanda ce qu’ils réclamaient du souverain. Il fut répondu que le pays voulait une constitution politique avec un code de lois civiles et criminelles. « Ce n’est pas l’œuvre d’un jour, répond Davidovitch, voilà longtemps qu’on y travaille ; à la prochaine skouptchina, dans un mois, le prince publiera un statut organique qui comblera tous les vœux. » Ces paroles ayant été saluées