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ressentit une telle fureur qu’il voulait en appeler aux armes. Déjà la lutte était imminente ; les Turcs s’étaient retirés dans la forteresse, les canons de la place étaient braqués sur les quartiers de la ville habités par les chrétiens ; on voyait les canonniers à leurs pièces, debout, mèche allumée. Un signal du prince eût soulevé toute la Serbie, et nul doute que Belgrade n’eût été emportée d’assaut avant que Mahmoud n’eût envoyé une armée contre les rebelles. Il est vrai que le lendemain c’était une terrible guerre à recommencer. Milosch eut la force d’ajourner sa victoire, afin de la rendre moins sanglante et plus sûre. Il quitta Belgrade et retourna dans sa résidence de Kragoujevatz. Voilà sous quels auspices commençait la seconde période de son règne. Reconnu prince des Serbes, proclamé chef d’une dynastie par un hatti-chérif de Mahmoud, il était obligé de quitter la capitale où venait d’être célébré son couronnement, et c’était la Russie qui, tendant la main aux Turcs, lui infligeait cet échec.

Deux insurrections qui éclatèrent vers le même temps lui causèrent de graves embarras. Deux grandes provinces de l’empire ottoman, l’Albanie et la Bosnie, se soulevèrent contre Mahmoud. Le continuateur des réformes de Sélim, l’ami des idées européennes, le destructeur des janissaires était pour les vieux musulmans un ennemi de Mahomet ; on l’appelait, comme Sélim, le sultan giaour. C’était le sultan giaour que les Albanais et les Bosniaques voulaient renverser du trône. Il y avait pourtant une grande différence entre les deux révoltes. Le chef des Albanais, Moustapha, pacha de Skodra, était surtout un ambitieux qui voulait profiter de l’ébranlement de l’empire pour augmenter son pouvoir ; la religion n’était pour lui qu’un prétexte. Le chef des Bosniaques, Hussein-Capétan, était au contraire un défenseur convaincu des vieilles mœurs, un héros et un saint. Même contraste dans les circonstances extérieures ; Moustapha avait annoncé ses projets hostiles à Mahmoud dès l’année 1829, au moment où les Russes marchaient sur la capitale de l’empire ; Hussein-Capétan n’avait soulevé la Bosnie qu’après le traité d’Andrinople. De là les résolutions différentes de Milosch. Si Moustapha-Pacha en 1829 eût agi avec vigueur, l’empire turc était sérieusement menacé ; le prince des Serbes, toujours préoccupé des intérêts de la Serbie, se demanda ce que deviendrait sa cause dans le cas où le pacha d’Albanie, après avoir détrôné Mahmoud avec l’aide des Russes, jouerait dans la réorganisation de l’empire un rôle prépondérant. Sollicité par Moustapha de s’associer à ses projets au moins par un secours en argent, il s’engagea à lui fournir une somme de 200,000 piastres. Ce n’était pour lui qu’une tactique, une précaution en vue d’un avenir incertain ; au fond, il ne désirait pas la