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des dispositions malveillantes de la Russie à l’égard de la principauté serbe. On se rappelle que le hatti-chérif de 1830 réservait aux Turcs les forteresses de la frontière ; le drapeau ottoman ne devait plus flotter que sur ces murailles, considérées comme une propriété de l’empire, puisqu’elles défendaient le pays contre l’étranger. Il avait été stipulé aussi que les fortifications qui n’existaient point avant la guerre de l’indépendance seraient démolies. Belgrade était-elle une forteresse ? Si l’on répondait oui, les Turcs avaient le droit d’y rester ; dans le cas contraire, ils étaient obligés de partir. Dès le lendemain des scènes que nous avons racontées, scènes si glorieuses pour les Serbes, si humiliantes pour les Turcs, les vaincus essayèrent de reprendre l’avantage sur ce point à l’aide d’une argumentation effrontément chicanière. — Belgrade est fortifiée, disaient les commissaires ottomans, Belgrade est nécessaire à la défense du Danube ; voyez ces palissades et ces fossés. Or il est très certain que les fortifications de Belgrade avaient été rasées en 1739 à la suite de la guerre entre la Turquie et l’Autriche ; le traité de Belgrade, qui avait mis fin à la lutte, en avait fait l’objet d’une stipulation formelle. C’est plus tard seulement, pendant la guerre de l’indépendance, que la ville avait été entourée de fossés et de palissades. Ces travaux de défense devaient donc être démolis ; Belgrade n’était plus une forteresse, c’était une ville serbe réservée aux Serbes, à l’exception, bien entendu, de la forteresse proprement dite, laquelle, suivant les déclarations du hatti-chérif, appartenait aux garnisons ottomanes. Rien de plus clair assurément ; c’est pourtant sur cette équivoque des palissades et des fossés que les Turcs prétendaient reprendre aujourd’hui ce qu’ils avaient accordé hier. Ils soutenaient que les palissades avaient été construites avant la guerre de l’indépendance ; ils montraient des lignes, des vestiges de lignes, comme si ces palissades même, eussent-elles existé avant 1804, eussent permis de confondre la ville de Belgrade avec la forteresse de Belgrade. Les négociations durèrent assez longtemps. La diplomatie turque, lorsqu’il s’agit d’éluder ses engagemens, trouve des ressources particulières dans son art de temporiser et de grouper les formules majestueuses. Enfin le divan proposa aux députés de Milosch de s’en rapporter à l’arbitrage du tsar Nicolas. Milosch ne pouvait refuser un tel arbitre. Quant au gouvernement turc, il jouait une partie gagnée d’avance ; c’était le moment où le cabinet de Saint-Pétersbourg, déjà mécontent de voir les Serbes réussir trop bien et trop vite, comblait le divan de ses prévenances pour l’amener à conclure le traité de Balta-Liman. Le tsar condamna Milosch. Il fut établi que la ville de Belgrade, à titre de forteresse, demeurerait tout entière aux mains des Turcs, Milosch en