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n’est pas éloigné de croire qu’en même temps qu’on retrouve aux catacombes l’influence de leurs doctrines, on peut y découvrir leur portrait. Au milieu des peintures que je viens de décrire, on voit représentés quelques personnages graves, debout ou assis, revêtus du pallium comme les philosophes grecs, un livre à la main, dans l’attitude de l’enseignement ou de la prière. Ne sont-ce pas ces sages inconnus qui ont passé leur vie à méditer les livres saints et qui en ont donné des explications étranges et profondes, — esprits à la fois soumis et indépendans, qui, gênés peut-être par la rigueur des dogmes et l’inflexibilité des textes, se soulageaient en les interprétant, et cherchaient ainsi à conserver quelque liberté dans leur soumission? Il est naturel de supposer que les artistes qu’ils avaient charmés et qui retraçaient leurs conceptions dans leurs tableaux aient aussi voulu y représenter leur image.

Ce qui est sûr, c’est que dans l’église de Rome ce mouvement s’est vite arrêté. Une main inconnue contint tout d’un coup cette sève désordonnée et puissante; en quelques années, l’art chrétien marche dans des voies nouvelles. M. de Rossi montre que, dans les chambres un peu plus récentes que celles dont je viens de parler, les peintures sont belles encore, mais qu’elles n’ont déjà plus le même caractère. Elles deviennent historiques plutôt que symboliques, ou, si les allégories persistent, elles ne sont plus liées entre elles de manière à former un enseignement complet et suivi. Parmi les peintures historiques que décrit M. de Rossi, il y en a une qui a bien plus d’intérêt que les autres, et qui paraît représenter un fait contemporain. Debout sur un suggestum, un personnage grave et menaçant, revêtu de la prétexte, la tête ornée d’une couronne, s’adresse avec colère à un jeune homme placé en face de lui. Derrière eux, un homme qui porte aussi une couronne sur la tête et dont la main est posée sous le menton semble s’éloigner avec dépit. M. de Rossi voit dans ce tableau une scène des persécutions[1] ; c’est, selon lui, l’interrogatoire d’un martyr, et rien n’empêche de le croire. Le magistrat qui interroge, l’empereur peut-être, est représenté avec ses attributs ordinaires. Le chrétien a bien l’attitude d’un homme qui confesse sa foi; ses traits respirent la douceur et la résolution, et l’artiste a donné à ses yeux un éclat étrange. Il ne regarde personne, il ne parait pas écouter ce qu’on lui dit, et l’on voit qu’il est occupé d’autres pensées. Quant au personnage qui s’éloigne, c’est sans doute un prêtre païen qui n’a pas pu décider le fidèle à sacrifier aux dieux. Les autres peintures, d’époque plus

  1. Nous savons qu’il y avait d’autres tableaux de ce genre aux catacombes. Prudence a décrit d’une façon très intéressante celui qui représentait le martyre de saint Hippolyte et qui était peint sur son tombeau.