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épargnait au service des transports de longs délais et des fatigues considérables pour les animaux. On put dès lors ne laisser à Zoulla qu’un très petit nombre d’animaux, et tandis qu’au bord de la mer il fallait les abreuver d’eau distillée d’un prix de revient exorbitant, ils trouvèrent au milieu de la plaine l’eau douce que fournissaient en abondance des puits creusés par l’armée. A la fin de mars, la ligne atteignait le neuvième mille, et avant le 1er mai le parcours total de 12 milles (19 kilomètres) était terminé. Des corvées, prises dans les divers corps de l’armée, avaient seules accompli ces travaux sous la direction du service du génie. Les rails, les traverses, le matériel roulant, avaient été apportés de l’Inde, et ce ne fut pas une petite difficulté que de mettre en état de service tous ces objets de modèles divers. Le sol mouvant du désert fut parfois un obstacle sérieux, pour établir solidement les rails ; des tranchées durent être creusées à travers quelques collines ; il fallut jeter sur des torrens huit ponts en fer, dont quelques-uns à plusieurs travées.

Jusqu’au 24 mai, les trains ne cessèrent de se succéder, emportant jusqu’au pied des montagnes tous les approvisionnemens nécessaires ; à cette date, la campagne était terminée. Dans la retraite, le chemin de fer rendit de nouveaux services. Arrivées à Kumoylé les troupes furent embarquées sur la voie ferrée et conduites sur le môle de Zoulla, d’où elles étaient immédiatement transportées à bord des bâtimens. Cela permit d’éviter aux régimens fatigués par de longues marches d’avoir à séjourner plusieurs jours dans les plaines brûlantes du littoral, où des maladies étaient à redouter pour des hommes épuisés par les privations de la campagne. Chaque jour, les trains du chemin de fer transportaient ainsi jusqu’à 1,500 hommes avec les bagages et le matériel. Ces chiffres font juger suffisamment les inappréciables services que rendit au corps expéditionnaire d’Abyssinie l’établissement de cette voie ferrée. La nature du pays n’eût pas permis de la pousser plus loin. Non compris la valeur du matériel apporté de l’Inde, où il avait déjà servi, ces 19 kilomètres de chemin de fer avaient coûté seulement 6,000 livres sterling. Il serait beaucoup trop long de donner une description détaillée de tous les travaux exécutés en Abyssinie pendant le court séjour de l’armée anglaise. Une ligne télégraphique, double dans la. traversée du défilé de Kumoylé, put être conduite avant la fin de mars jusqu’à Antalo, sur un parcours de plus de 300 kilomètres ; les poteaux nécessaires pour soutenir les fils durent être apportés presque partout, le pays manquant de bois.

Pressé par la saison des pluies, dont les troupes avaient senti déjà les premières et terribles atteintes, sir Robert Napier poursuivit sa retraite à marches forcées vers la côte. Le 24 mai, le quartier-général arrivait à Sénafé, sa dernière station sur les plateaux. C’est