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regards se détournaient avec horreur du spectacle hideux de plus de 300 cadavres jetés sans sépulture au fond d’un abîme. Peu de jours auparavant, Théodoros avait fait massacrer ces malheureux et précipiter leurs corps du haut du rocher. La dépouille du négus fut recueillie et gardée par une sentinelle anglaise ; mais, parmi les quelques serviteurs fidèles restés au dernier moment près de lui, aucun ne la réclama pour lui rendre les honneurs funèbres. Il fut enterré le lendemain dans l’église de Magdala, et la présence de quelques habits rouges fut la seule pompe qui accompagna ces tristes funérailles. La veuve de Théodoros et son héritier reçurent l’hospitalité au camp anglais et furent emmenés par l’armée dans sa retraite ; la reine mourut en route, son fils seul fut embarqué et conduit en Angleterre.


III

Une explosion de joie accueillit dans l’armée anglaise la nouvelle de la mort du négus ; il semblait que chacun redoutait l’embarras qu’eût causé à l’Angleterre Théodoros prisonnier. Les captifs étaient libres, leur ennemi abattu et sa citadelle au pouvoir des Anglais ; quatre jours leur avaient suffi pour terminer la campagne. Le 10 avril, les armes britanniques avaient été victorieuses ; le 13, la politique de l’Angleterre obtenait un triomphe éclatant et complet. Le but de l’expédition d’Abyssinie était atteint peut-être au-delà même des espérances ; mais ce n’était pas trop d’un pareil succès pour compenser les frais énormes de cette guerre et surtout pour payer les épreuves si pénibles qu’elle avait imposées au corps expéditionnaire.

La prise de Magdala livrait aux mains des Anglais tout le matériel de guerre de l’armée du négus : il consistait principalement en une quarantaine de canons de bronze de tous modèles et de tous calibres ; quelques-uns avaient été fondus dans le pays ; les affûts, les caissons, grossièrement construits, rappelaient par de minutieux détails les types de nos modèles français. On trouva en outre une certaine quantité de fusils doubles à percussion d’importation européenne, un nombre très considérable de sabres, de piques et de boucliers du pays et une grande quantité de poudre de guerre. De tout cela, rien ne méritait l’honneur d’être rapporté comme trophée. Ce matériel fut donc détruit ; puis, voulant accomplir un dernier acte de vengeance, l’armée anglaise incendia Magdala, ce lieu témoin de la captivité et des tortures de tant d’infortunés.

Le 18 avril, l’armée quittait le camp de Magdala, traînant à sa suite les Européens avec leurs familles arrachés à leur captivité. Après une longue étape et une ascension pénible sur les rives