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avec les précipices de l’Abyssinie, avait pu concevoir de difficultés nouvelles. Quelques travaux de réparations indispensables furent entrepris aussitôt, et le 4 avril, à la pointe du jour, la première colonne paraissait au bord septentrional du Djedda.

Ce n’est pas sans un sentiment de doute et d’appréhension que ces troupes, aguerries par une expérience de plus de trente marches au milieu des ravins et des montagnes, s’engagèrent sur les pentes abruptes où, à chaque pas, hommes et animaux étaient menacés de rouler dans l’abîme. A mi-hauteur s’étend un petit plateau horizontal, comme une marche haute de 600 mètres d’un escalier de géans taillé par les mains de la nature, puis on retrouve un nouvel escarpement qui tombe à pic jusqu’au lit même de la rivière. La descente dura trois heures ; il fallut s’arrêter pour réunir les divers élémens de la colonne, indéfiniment allongée. On eût dit une cataracte humaine précipitée au milieu de ces escarpemens. Tandis qu’une atmosphère vivifiante et légère régnait sur le plateau, la température au fond de ce gouffre était accablante. Des roches et des cailloux roulés formaient le lit de la rivière ; quelques flaques d’eau étaient disséminées dans de petits bassins ; quelques grands arbres, et principalement de maigres buissons épineux, étaient la seule trace de végétation dans cette vallée, que certaines relations représentaient comme éblouissante de la verdure des tropiques.

Après une halte assez longue, il fallait gravir la rive opposée sur des pentes non moins inaccessibles pour gagner le bivouac du plateau de Dalanta. A pied, à la tête de ses troupes, sir Robert Napier s’engagea le premier au milieu des ravins et des rochers ; une épaisse couche de poussière recouvrant des pierres roulantes rendait la marche encore plus pénible. Il faisait presque nuit lorsque la tête de colonne atteignit le bord du plateau de Dalanta ; il n’avait pas fallu moins d’une journée entière laborieusement remplie pour gagner ce plateau, qu’on semblait toucher du bivouac de la veille. La nuit était complète bien avant qu’aucun bagage eût pu arriver jusqu’au camp. Sans tentes, sans vivres, les troupes furent une fois de plus privées d’un repos si chèrement acheté ; pour comble d’infortune, un orage violent éclata sur le camp. La pluie eut bientôt détrempé le sol gras et fertile et transformé la surface en un marais glissant et fangeux. Jamais nuit au bivouac ne fut moins comfortable, et pourtant il eût été impossible de saisir un murmure ou une plainte ! C’est dans ces épreuves de la vie des camps, d’autant plus rudes qu’elles ne sont compensées par aucune gloire, qu’on se prend à admirer le caractère tout original du soldat anglais ; le flegme britannique, type distinctif de nos voisins, prête à leurs vertus militaires une physionomie à part qu’on ne retrouverait dans aucune autre armée.