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jours rigoureusement chrétienne. Dans tout ce qui était de simple ornement, les artistes imitaient les païens sans scrupule. Tertullien lui-même, le sévère docteur, le leur permettait. Pour orner les murs et les voûtes de leurs chambres funèbres, ils copiaient les gracieuses décorations dont on se servait d’ordinaire pour les salons et les boudoirs. M. de Rossi a reproduit un de ces plafonds dans son ouvrage; c’est assurément l’un des plus gracieux que l’antiquité nous ait laissés. On y trouve, comme à Pompéi, des arabesques charmantes, des oiseaux et des fleurs, et même de ces génies ailés qui semblent voler dans le vide. N’est-il pas étrange que cette merveille de grâce et d’élégance, où respire tout l’art riant de la Grèce, se retrouve au milieu des galeries obscures d’un cimetière chrétien? Il faut croire que les détails et les emblèmes de cette peinture décorative qu’on rencontrait partout avaient perdu toute signification pour l’esprit. Ce n’était plus qu’un plaisir des yeux, et l’église ne croyait pas devoir le refuser à ceux de ses fidèles qui dans le cœur avaient gardé quelque tendresse secrète pour l’art antique.

Il n’en était plus de même, on le comprend, dès qu’il s’agissait de faire un tableau, de peindre une scène qui éveillât une idée ou un souvenir dans l’esprit. Il fallait être alors plus circonspect. Sans doute le christianisme naissant avait beaucoup emprunté à l’art païen. Comme il lui était difficile d’inventer d’un coup une expression originale pour ses croyances, et que les Juifs ne lui fournissaient pas de modèle, il fut bien forcé de les demander aux Grecs. Il imita quelques-uns de leurs types les plus purs qui pouvaient allégoriquement s’appliquer à la religion nouvelle, par exemple celui du bon pasteur, qui jouit pendant trois siècles d’une si grande popularité. Toutefois M. de Rossi pense qu’il n’est pas resté longtemps imitateur. On ne retrouve plus qu’un seul de ces types païens dans le cimetière de Calliste; c’est une belle peinture d’Orphée jouant de la lyre. Il n’est point douteux que cette noble et calme figure, avec son attitude si aisée et ses draperies si régulières, ne soit la reproduction d’une œuvre antique; mais elle est déjà modifiée et a pris un sens nouveau. Au lieu d’attirer à lui les bêtes et les arbres, comme le racontait la fable, et comme on le voit représenté au cimetière de Domitilla, Orphée n’a plus à ses pieds que deux brebis qui paraissent écouter ses chants. On voit qu’il est en train de se confondre avec le bon pasteur, et qu’il n’est plus qu’une image directe du Christ. Malgré ces modifications, qui donnaient un caractère chrétien aux modèles antiques, il est probable qu’à la fin du IIe siècle les consciences scrupuleuses répugnaient à les employer, puisque nous n’en trouvons pas d’autre