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noirs sont tressés et enroulés suivant mille combinaisons dont la bizarrerie laisse bien loin derrière elle nos modes les plus excentriques. Chaque jour, des centaines d’Abyssins se pressaient autour des tentes, attirés par cette banale curiosité des races orientales et surtout par l’appât de nos dollars, qu’ils venaient échanger contre les modestes produits de leur pays. On sait que le dollar autrichien de Marie-Thérèse, connu aussi sous le nom de talari, est la seule monnaie ayant cours dans quelques contrées de l’Orient. En Abyssinie, un ou deux dollars sont le prix ordinaire d’un bœuf. Malheureusement, comme il n’existe aucune monnaie fractionnaire, il fallait payer un dollar le plus petit objet, une tasse de lait ou quelques œufs, toutes les fois qu’on ne pouvait donner en échange une poignée d’orge ou de farine.

Il serait fastidieux de suivre pas à pas les colonnes anglaises à travers le plateau du Tigré : la monotonie du paysage égalait celle des marches. Une seule fois on put se croire au bout de cette succession désespérante de montagnes dénudées et de plaines stériles. La colonne venait de gravir un massif de collines élevées, lorsqu’en arrivant au sommet du versant opposé nos regards tombèrent avec ravissement sur le plus délicieux paysage qu’on puisse imaginer. A nos pieds s’étendait une riante vallée toute couverte de prairies verdoyantes au milieu desquelles serpentait une petite rivière aux eaux abondantes et limpides. De majestueux sycomores y répandaient leur ombre ; au milieu de bosquets embaumés, quelques palmiers balançaient leurs cimes élégantes, et sous les rayons dorés du soleil couchant des roches minérales étincelaient des plus brillantes couleurs. Dans un de ses nombreux replis, la rivière baignait un petit promontoire couvert de grès rouges, au milieu desquels s’élevait un modeste sanctuaire à demi caché dans un bouquet de verdure et de fleurs. Rien ne peut rendre la joie que nous causèrent quelques heures passées dans ce lieu. La petite église, dont l’état de délabrement témoignait le plus complet abandon, avait été taillée dans le rocher même, dont les chaudes nuances lui prêtaient l’effet le plus pittoresque. La forme était celle d’une croix grecque, et un double rang de piliers massifs en décorait l’intérieur. Plus d’un voyageur sans doute avait été déjà séduit par le charme de ce site. Théophile Lefèvre en donne une gracieuse description dans son Voyage d’Abyssinie. Ce n’était, hélas ! qu’une oasis au milieu du désert, qu’un épisode bien court dans notre marche. Quelque cent mètres plus loin, la nature aride du plateau reparaissait aussi monotone que jamais.

Le mois de février fut employé à faire franchir aux premières colonnes les quelques marches qui séparent Sénafé d’Antalo. Souvent il fallait s’arrêter pour s’ouvrir un chemin praticable au milieu