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au fond de vallées profondes et pestilentielles où l’armée pouvait trouver un tombeau. Sénafé est à environ 2,200 mètres au-dessus de la mer. À cette hauteur, les chaleurs accablantes des plaines basses ont disparu ; l’air est pur et léger, il règne un printemps perpétuel. Les rayons du soleil des tropiques y sont presque bienfaisans, et des nuits fraîches viennent réparer les forces de l’Européen, qui croit avoir retrouvé son climat natal. Aucun travail ne paraît plus fatigant que dans nos pays, et presqu’à toute heure du jour les troupes peuvent marcher comme en Europe.

Les géographes et les voyageurs nous ont appris que la vaste région comprise sous le nom général d’Abyssinie est partagée en plusieurs grandes divisions, distinctes entre elles autant par le caractère du pays que par les mœurs et le langage des habitans. En arrivant comme l’armée anglaise par le nord-est, on rencontre d’abord la province du Tigré, séparée de l’Abyssinie proprement dite ou Amhara par de hautes chaînes de montagnes qui forment une ligne brisée, descendant d’abord du nord au sud, puis s’infléchissant vers l’est. Presque toujours le Tigré a obéi à des chefs indépendans, et Théodoros n’était point parvenu à le soumettre tout à fait. Peu peuplée, d’un aspect généralement aride, bien que le sol y soit susceptible de culture, cette région ne présente pas ces chaînes élevées qui, vers l’ouest ou plus au sud, rendent les communications si difficiles en Abyssinie. Ce serait une erreur de croire cependant que le nom de plateau indique ici de vastes étendues de plaines unies. On ne l’emploie pour désigner ce massif qu’en raison de l’altitude qu’il présente, et qui est en moyenne de 2,000 à 2,500 mètres. Peu de pays offrent un sol aussi tourmenté et découpé de ravins et de montagnes. A peine dans certains districts peut-on rencontrer quelques plaines d’un petit nombre de lieues de diamètre. Toutefois le Tigré ne présente pas d’accidens de terrain aussi accentués que le reste de l’Abyssinie ; c’est une région ondulée, traversée à peu près en tout sens, mais principalement de l’est à l’ouest, par des rivières souvent encaissées et dont la saison sèche tarit presque partout le cours. Ces rivières sont des affluens des grands fleuves, le Mareb et le Tacazzé, qui, après un cours irrégulier de quelques centaines de lieues, se réunissent à l’Atbara, pour porter au Nil le tribut de leurs eaux. C’est donc au bassin de ce fleuve qu’appartient tout le versant parcouru par l’armée anglaise. Il faut dix ou douze journées pour traverser le Tigré du nord au sud ; les Anglais n’auraient éprouvé aucune difficulté dans cette marche, si le manque absolu de routes et le peu de ressources du pays ne les avaient souvent arrêtés.

Le commerce est à peu près nul dans le Tigré ; c’est à peine si de loin en loin on rencontre de petits convois d’ânes ou de mulets