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temps qu’une colonne dirigée vers l’intérieur, un convoi descendu des plateaux s’y arrêtait avant de retourner à la mer chercher de nouveaux approvisionnemens. Les mulets, les chameaux, les chars à bœufs, étaient entassés dans le plus pittoresque désordre, et l’on avait peine à comprendre comment chacun pourrait retrouver son rang pour le*départ du lendemain.

Au-delà du défilé, la vallée s’ouvrait de nouveau en traçant de capricieux méandres au milieu des sites les plus bizarres. Ici c’étaient ces fourrés impénétrables que les Anglais appellent jungle, repaire habituel des animaux sauvages ; quelques oiseaux au plumage étincelant, quelques troupes de grands singes qui, à l’approche des Anglais, s’enfuyaient tout effarés chercher un refuge au sommet des rochers, tels étaient les hôtes familiers de ces lieux. Là, des arbres séculaires au large feuillage étendaient au loin l’ombre épaisse de leurs puissans rameaux, bienfaisant abri contre les rayons du soleil répercutés par les parois de la montagne. C’est au milieu d’une pareille nature qu’on arrivait par quatre étapes successives au plateau abyssin. Pour faire ce trajet, les colonnes et les convois devaient emporter leurs vivres et leurs fourrages. Des puits avaient été creusés en quelques endroits où l’eau ne se trouvait pas assez en abondance pour suffire aux besoins des troupes en marche.

A Sénafé, le général en chef fit établir un grand dépôt de vivres ; cette place allait devenir une seconde base d’opérations. Aussi pendant les mois de janvier et de février 1868 une suite non interrompue de convois sillonna chaque jour la passe de Kumoylé pour apporter à Sénafé des approvisionnemens. Ce service, fait d’abord par des animaux de bât seulement, put être entrepris avec des voitures après l’achèvement de la route. Tous les animaux disponibles à Zoulla y lurent employés, et même les batteries laissées en arrière durent y prêter leurs mulets. Le commandant en chef ne voulait pas engager son armée plus loin dans l’intérieur, ni même faire monter sur les plateaux les corps qui arrivaient à Zoulla, sans avoir réuni à Sénafé des approvisionnemens pour plusieurs mois.

Avant d’arriver dans le pays, sir Robert Napier avait lancé des proclamations, renouvelées lors de son débarquement. Il y rappelait les justes griefs de l’Angleterre contre le roi Théodoros, et expliquait nettement le but de l’expédition. La protection la plus complète était promise aux habitans inoffensifs, dont les personnes et les propriétés seraient respectées en toute occasion ; l’engagement formel était pris d’évacuer le pays après satisfaction obtenue. Ces promesses avaient besoin d’être confirmées. a ce point de vue, une pensée préoccupait par-dessus tout le général, la nécessité d’entrer en relation avec les chefs du pays pour s’assurer de leur bon vouloir, surtout pour en obtenir quelques ressources en vivres